Parfois, on prépare tout un argumentaire pour une recherche scientifique et un acte, imprévisible, indépendant de notre volonté vient tout modifier, tout chambouler, voire supprimer complètement tout ce qu’on a lentement monté pendant des semaines.

C’est ce qui m’est arrivé en mars 2023. J’avais imaginé pouvoir travailler, avec mon ancien associé, qui était originaire de cette île, sur la généalogie génétique de La Réunion, dans le cadre du laboratoire Chrome de l’université de Nîmes. Il y avait un financement possible à la clé sur plusieurs années. Un professeur de génétique était prêt à nous accompagner. Le directeur du laboratoire était en outre originaire de cette île. Les planètes semblaient s’aligner.

J’avais donc monté tout un argumentaire, allant chercher ce qui se passait de similaire au Québec ou en Islande. J’avais étudié la législation en France des tests génétiques. Je m’étais posé de nombreuses questions mêlant généalogie et génétique. Quels pouvaient être nos apports en tant que généalogistes ? Bref de longues heures de travail, de discussions.

Et puis, alors que tout semblait aller pour le mieux, l’imprévu. Un battement d’ailes de papillon au Brésil qui a déclenché une tornade au Texas comme le dit le météorologue Edward Lorenz en 1972, lors de sa conférence à l’American Association for the Advancement of Science. De petits facteurs peuvent avoir d’immenses effets. Notre petit facteur a été la volonté du gouvernement. Nous devions travailler en commandant des kits, en travaillant avec une entreprise de « généalogie génétique récréative ». Mais le gouvernement français a bloqué leur vente en France et toutes les entreprises ont demandé que les adresses des demandeurs soient hors de France. Hors de question pour elles d’envoyer des kits dans notre beau pays.

Tout ce que j’avais rédigé, imaginé ne pouvait plus se faire. À moins de travailler avec une université hors de France qui serve de boîte aux lettres. Oui mais laquelle ? Où ? Cela aurait demandé des mois et des mois de négociation. Or, la date de rendu du projet se rapprochait trop dangereusement. Et une fois cette date passée, plus de possibilité de financement public pour ce projet qui rentrait dans un cadre très précis.

Dans le cas de l’effet papillon cher à Lorenz, la variation forte est due à une modification très faible en valeur relative d’une variable mathématique. Or, là, nous touchons à l’Histoire, à l’humain, pas aux lois mathématiques immuables ou presque. L’imprévisibilité rencontrée est due au fait qu’on ne sait pas du tout mettre en équations l’Histoire. Vous avez déjà essayé de mettre de l’humain en équation ? Pas simple car il existe trop de variables. Les différences permettant intuitivement d’avoir l’impression d’être insignifiantes donnent lieu à une faible variation d’un argument numérique : impossible de le savoir. Tant que l’Histoire n’aura pas été mise en équations le système d’équations est-il effectivement chaotique ? Comme l’a dit Blaise Pascal dans ses Pensées : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé ». Si. Mais il n’a pas été plus court et nous savons depuis des milliers d’années ce qui s’est passé, quelles ont été les conséquences de la longueur de ce nez. Si la décision du gouvernement n’avait pas été prise, nous aurions pu effectuer notre recherche. Mais là, elle a mis un arrêt définitif au projet et je ne suis pas sûr que la recherche dans le domaine de la généalogie génétique soit désormais possible en France. Nous allons perdre du temps par rapport aux autres pays qui n’ont pas les peurs gouvernementales auxquelles nous avons droit et du coup, ces pays vont avancer dans ce domaine, nous laissant à la traîne, loin derrière eux, dans une longue longue traîne. Dommage !