Une manière de me remettre au travail, sereinement, est la rédaction des articles de ce blog. Je peux prendre du temps pour cela et c’est une forme d’entraînement après trois mois d’inactivité forcée, tout comme mes deux séances de kiné par semaine me permettent de remuscler mes jambes pour arriver à marcher à nouveau de mieux en mieux et sans les béquilles. De ce fait, ce sont des articles beaucoup plus longs, plus fouillés. Parce que j’ai du temps. Il faut relancer la machine et cela me semble être une bonne chose de le faire ainsi. Après plusieurs articles sur La Réunion, changeons complètement de lieu et revenons en Métropole retrouver nos premières amours (ou presque) !

Avec l’un de mes anciens étudiants, Marvin Vendeville, depuis de nombreuses années, quand nos clients nous laissent du temps pour cela, nous rédigeons une nouvelle histoire de la famille de Toulouse-Lautrec. Vous avez déjà lu dans le cadre de ce blog plusieurs articles sur celle-ci.

Nous avons plusieurs centaines de pages déjà écrites, que ce soit pour les branches albigeoises et pour toutes les branches issues de l’Hérault. Reste à trouver un éditeur et à se mettre d’accord entre nous : Faut-il commencer à publier alors que les recherches ne sont pas finies ? Attendre qu’elles se terminent ? Mais des recherches généalogiques cessent-elles vraiment un jour ? Combien de tomes ? De volumes ? Quel éditeur sera prêt à prendre ce risque avec nous ? Devrons-nous devenir éditeurs comme l’a fait Patrick Van Kerrebrouck quand il a mis à jour l’histoire des familles royales françaises à la suite du Père Anselme ? Faudra-t-il créer des volumes d’addenda ? De corrigenda ? Nous ne sommes pas encore d’accord. Je serais partisan de commencer à éditer, Marvin aimerait continuer les recherches avant.

Aujourd’hui, dans cet article, je vais vous présenter de manière succincte (enfin, presque) quelques membres de cette vaste famille dans l’Hérault, histoire de vous donner envie d’acheter l’ouvrage le jour où nous le publierons. Je me suis toujours dit que lancer des appâts ne fait jamais de mal.

Au départ, nous les trouvons autour du Poujol-sur-Orb, leur fief principal. Assez vite, la branche aînée descend sur Béziers. Des branches cadettes la suivent, s’installant principalement entre l’Orb et l’Hérault avec toutefois un petit débord vers l’Aude. De même, des branches cadettes, à partir du Poujol-sur-Orb, remontent vers l’Aveyron, entre le Tarn, le Rance et le Dourdou de Camarès, à la limite du département du Tarn.

I – Une épineuse question : leur rattachement au tronc commun des Toulouse-Lautrec.

À l’origine se trouve une supplique présentée par Jean-Pierre de Lautrec, avocat du roi en la sénéchaussée de Béziers. Il demande à être déchargé du droit de franc-fief pour un four banal qu’il possède à Coursan, dans l’Aude, en raison de sa qualité de noble. En 1719, Monsieur de Bernage, intendant du Languedoc, avalise ses preuves de noblesse. Maître Adam, fermier des domaines du Languedoc, exige pourtant de lui la somme de 660 livres pour un arriéré de 40 ans de jouissance de ce four (de 1720 à 1760) avec les taxes y attachées. Jean-Pierre de Lautrec, en tant que noble, fait requête auprès de Monsieur Lenain baron d’Ansfeld, intendant du Languedoc, demandant d’être exempté comme le lui avait accordé Monsieur de Bernage.

Le texte de la requête donne une filiation des ascendants du demandeur, sous forme des différents contrats de mariage passés par ces derniers. Jean de Lautrec, le premier ancêtre repéré de ce rameau des Lautrec mentionné dans cette requête, est dit fils de noble Antoine de Lautrec, petit-fils de noble Corboiran de Lautrec et de dame Elisabeth de Combes, suivant le contrat de mariage dudit Jean de Lautrec avec Jeanne de Lavit daté du 10 février 1539.

Les différents auteurs qui ont rédigé des généalogies des Toulouse-Lautrec se sont demandé qui était cet Antoine de Lautrec, fils d’un Corboiran de Lautrec et d’Elisabeth de Combes. Comme ils connaissent déjà un Corbeyran de Lautrec, époux d’une demoiselle Isabeau de Las Combes dans la branche albigeoise, ils ont supposé qu’il s’agît d’eux. Mais au niveau des dates, cela ne correspond pas. Corbeyran de Lautrec est né en 1503. C’est beaucoup trop tardif pour être le grand-père de Jean de Lautrec marié en 1539.

Potier de Courcy a posé l’hypothèse que Jean, marié en 1539, est le neveu de Corbeyran et non son petit-fils. Il en fait le fils d’Antoine, frère de Corbeyran. Au XVIe siècle, le mot « neveu » pouvait désigner tout aussi bien le petit-fils que le neveu. Mais cet Antoine se marie le 11 septembre 1549 et n’a qu’une seule épouse : Antoinette de Vabres. Cela ne correspond toujours pas au niveau des dates.

De La Roque prend pour argent comptant la filiation : Jean est fils d’Antoine, fils de Corbeyran. Comme on ne connaît que trois épouses (Jeanne de Baraigne, Germaine de Foix-Couserans et Jeanne d’Huc) à cet Antoine et que leurs dates de mariages ne correspondent toujours pas, il faut en inventer une quatrième. Afin de justifier tant bien que mal sa filiation, il prétend que la mère anonyme d’Antoine s’appelle Claire-Valence de Longue-Epée et que le mariage aurait eu lieu avant le premier mariage avec Jeanne de Baraigne. Il est le seul à la nommer ainsi et nul ne sait d’où il tire ce nom.

Jacques-René Magné et Jean-Robert Dizel, dans leur ouvrage paru en 1992, décident que Jean de Lautrec, époux de Jeanne de Lavit, n’est plus le petit-fils de Corbeyran mais son frère. Vu la quantité d’erreurs que nous avons pu relever dans cet ouvrage, simplement en consultant les archives, ce que ces auteurs n’ont pas fait, j’ai personnellement des doutes sur cette solution.

Il est possible que nous ayons en fait deux couples quasi-homonymes, seule solution inenvisagée par tous les auteurs. L’implantation des Lautrec en terre languedocienne n’est pas nouvelle. Les seigneurs de Vénès puis ceux de Pépieux ont déjà vécu en ces lieux. Les Lautrec de l’Hérault peuvent très bien descendre des uns ou des autres.

Ce qui peut faire penser à cette solution peut être confirmé par les différents blasons de la famille :

La branche albigeoise de Toulouse-Lautrec porte un blason écartelé :

* Aux I et IV : De gueules à un lion rampant d’or, qui est de Lautrec.

*Aux II et III : De gueules à la croix cléchée, vuidée, pommetée et alézée d’or de douze pièces, qui est de Toulouse.

La branche des Lautrec de l’Hérault a en revanche pour blason écartelé :

* Aux I et IV : d’azur à une balance d’argent 

* Aux II et III : d’argent à une épée de gueules mise en pal, la pointe en haut, la poignée et la garde d’or.

Ce qui pourrait faire penser à deux familles différentes, portant le même nom. Pourquoi pas ? Ou bien, il s’agit d’une seule et même famille avec un changement complet de figure principale. Ce qui est rare car cela modifie trop les armoiries. Et presque tous les cas connus, selon Michel Pastoureau dans son traité de l’héraldique, datent du XIIIème siècle. Nous pourrions penser que les deux branches se sont séparées durant ce siècle-là. Et donc nous aurions bien deux couples différents aux XVe-XVIe : Corbeyran de Lautrec, né vers 1503, marié avec Isabeau de Las Combes de la branche albigeoise ; Corbeyran de Lautrec, né vers 1460, époux d’Elisabeth de Combes de la branche héraultaise. Ce qui éviterait d’essayer de relier les deux branches de manière artificielle avant 1539, en triturant les généalogies connues de la branche albigeoise.

J’essaie dans le cadre des cours de généalogie que je donne à l’université de Nîmes d’apprendre à mes étudiants le principe du rasoir du frère Guillaume d’Ockham qui est un principe de simplicité, d’économie et de parcimonie : « Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité ». Pourquoi ne pas penser que deux membres de la même famille porteraient ce même prénom rare, d’origine ariégeoise, venant de la rivière de la Courbière qui traverse la vallée du même nom ?

La famille est beaucoup plus prolifique que ce que le laissent penser Jacques-René Magné et Jean-Robert Dizel dans leur ouvrage de 1992. Une fois encore, avec mon co-auteur Marvin Vendeville, je me suis rendu compte que les auteurs de cet ouvrage, pourtant qualifié de « bible » sur la famille, n’ont absolument pas consulté les archives, pourtant riches à propos de cette branche.

Si nous consultons ces archives, nous trouvons certes cette branche noble étudiée par ces auteurs mais aussi les descendants des branches cadettes qui petit à petit vont tomber dans la roture (et complètement oubliées de ce fait par ces auteurs, les derniers à s’être penchés sur cette noblesse lignagère). Plutôt que de vous dérouler une généalogie assommante de cette famille, génération après génération, je vous propose de jeter des flashes sur certains membres. Nos deux artistes, Gabriel de Lautrec et Lucien Lautrec, mais aussi quelques professions comme les hommes de loi, les soldats de carrière, ceux et celles qui menèrent une vie plus ascétique. Comme dans toutes familles, nous pouvons trouver quelques « voyous » dans celle-ci. Et enfin, nous verrons les difficultés rencontrées au niveau de l’état civil avant, comme peuvent le faire le serpent grec Ouroboros ou Jörmungand, son homologue scandinave, d’effectuer un tour complet ou presque pour revenir en 1539.

II – Les artistes de la famille :

À Tout seigneur tout honneur, commençons par eux. Tout comme la branche de l’Albigeois a donné naissance à Henri de Toulouse-Lautrec, la branche héraultaise des Lautrec a produit deux artistes : Gabriel de Lautrec dans le domaine de l’humour et Lucien Lautrec dans le domaine de la peinture.

Jean Pierre Marie François Gabriel de Lautrec, de son nom complet, est fils de Jean-Joseph Marie de Lautrec-Béziers et de Delphine Emilienne Hondrat. Il est né le 25 février 1867 dans la maison parentale au 44 place Saint Aphrodise à Béziers. Il est décédé le 25 juillet 1938 à Paris, dans le 14ème arrondissement[1]. Surnommé « Le Prince des Humoristes » en 1920, inventeur du mètre en caoutchouc, chevalier de la Légion d’Honneur (mais son dossier n’apparaît pas dans la base Leonore, hélas).

Tout comme le « prince des poètes » a été attribué à plusieurs écrivains, il en est de même de la locution « prince des humoristes ». On trouve ainsi sous cette dénomination, outre Gabriel de Lautrec, Alphonse Allais, Albert Dubout, Saki, né Hector Hugh Munro, Mark Twain ou Pierre-Henri Cami.

Les éditions La Bougie du Sapeur qui ont édité un de ses livres intitulé « Les histoires de Tom Joë » parlent de lui comme d’un inconnu célèbre. On a oublié de célébrer le centenaire de sa naissance et le cinquantenaire de sa mort. Il apparaît à Paris en 1889, svelte et élégant, portant monocle et fumant le cigare. Répétiteur dans un lycée parisien, il fréquente les brasseries littéraires du Quartier latin et fait la rencontre d’Alphonse Allais au Chat noir, le cabaret montmartrois. Il obtient sa licence ès Lettres et publie le recueil de « Poèmes en prose » (1898) qui lui ouvre les portes du Tout-Paris littéraire. Il est dès lors de la bande à Goudeau. C’est la grande époque des canulars et des virées sans fin. Paul-Jean Toulet note ses frasques nocturnes au Bois de Boulogne où il jette à l’eau des chaises « pour que les poissons puissent s’asseoir ». Le dessinateur Joseph Hémard le caricature en pleine observation de gidouilles célestes…

Et dans une lettre à Alphonse Allais, Gabriel de Lautrec écrit : « Je meurs encore de joie (tant que je vivrai, je mourrai de joie) au souvenir de nos conversations sur la linguistique comparée. » Rédacteur en chef du Chat noir, Allais publie dès 1889 son « Bon candidat » puis une fantaisie dont l’exergue de Bossuet reste un modèle d’éloquence : « Ah zut, alors ! dit la jeune fille ». Dans le même temps, Lautrec tient salon à Passy où il reçoit entre autres Willy, Alfred Jarry, Oscar Wilde et Paul Verlaine. Il avait rencontré ce dernier « un soir, devant un café, naturellement, rue Soufflot. Un homme de cinquante ans, fatigué, traînant la jambe, mais fier. Et une vraie tête de faune » À la mort du poète, il veille son corps. Il avouera dans ses mémoires le larcin d’une mèche de cheveux.

Auteur apprécié, il publie dans le Gil Blas illustré, Le Rire, le Cocorico… et lance avec Gus Bofa et Roland Dorgelès La Petite Semaine, « le seul quotidien hebdomadaire du monde entier » à l’« allure débridée, (la) note primesautière, (la) douce loufoquerie ». Sur les conseils de Marcel Schwob, autre rencontre de café, il entreprend la traduction des contes de Mark Twain qui paraissent en 1900 équipés d’une « Définition de l’humour » de son cru. Il théorise, comme dans « Comoedia » où il déclare en 1923 : « L’humoriste est un poète, un poète, si l’on veut, prudent, qui a bien tourné. » Il a « le souci de l’expression pittoresque imprévue ». Mais surtout il pratique. « J’ai été secrétaire de Paul Fort, dit l’un de ses personnages. On m’a remercié parce qu’un jour j’avais laissé une parenthèse ouverte toute la nuit. » Parmi ses titres de gloire, il faut noter la fondation en 1920 de l’Académie de l’Humour avec Curnonsky et Courteline et la parution deux ans plus tard, de son « roman d’aventures passionnelles et météorologiques » bourré de calembours qui dévoile l’authentique fils du capitaine Nemo : « Le Serpent de mer ».En 1929, Lautrec prend sa retraite de professeur de latin à Marseille puis revient à Paris, malade et dépité. Il n’a pas connu de véritable consécration. Candidat malheureux à l’Académie française en 1923[2], il obtient la légion d’honneur en 1936. Une récompense qui compte moins que l’installation de son buste au Salon des Humoristes de 1920. Il venait d’être sacré Prince des humoristes. Lorsque Gabriel de Lautrec meurt le 25 juillet 1938, les nécrologies soulignent en chœur « La Vengeance du portrait ovale », son meilleur livre, à la croisée du roman noir et de la science-fiction. Certes il sent l’opium, mais Lautrec ne le cache pas. Il évoquera une expérience de 1893 à ce sujet dans ses « Souvenirs des jours sans soucis ». Tout dans ses « contes magiques » a pris un goût bizarre, un air de Grand-Guignol. « Le Bocal vert » notamment où l’on découvre un collectionneur de bocaux. « Les tripes dont je vous parlais tout à l’heure (…) ont été mises dans l’eau de vie. Ce spectacle me rappelle la fragilité de notre nature, et je songe, avec un certain ennui, qu’un jour je mourrai, quoique pharmacien ». Ce qui pourrait être un mot d’Allais, apothicaire lui-même.

Salué pour ses talents de conteur et la vigueur de son imagination, Gabriel de Lautrec doit son plus bel hommage à Jean Ray qui écrivait à propos de La Vengeance du portrait ovale : « Le talent de Gabriel de Lautrec est polychrome. (…) Il m’a semblé sentir autour de moi le fantôme goguenard de Mark Twain, l’ombre hallucinante d’Edgard Poe, l’imagination conteuse de Wells, le cynisme intermittent de Pierre Mac Orlan et même l’inquiétant génie de Maurice Renard. » Bref, vous l’aurez compris, son humour était à son époque reconnu par tous, empreint de loufoquerie, de non-sens et d’absurde dus à son goût pour l’insolite et le fantastique. Il est ainsi l’auteur de textes insolites, à la croisée du roman noir, du genre fantastique et de la science-fiction.

Peu de temps avant sa mort, il publie son autobiographie intitulée « Souvenirs des jours sans souci » aux Editions de la Tournelle en 1938.

Il épouse en premières noces le 17 février 1911 à Paris 7ème arrondissement, Adrienne Gilliana Heineken, née le 14 décembre 1886 à Amsterdam (Pays-Bas), fille de Wynand Heineken et d’Henrietta Wilhelmina Daum[3]. Leur divorce est prononcé le 25 juillet 1912 sans descendance connue[4].

Il épouse en secondes noces le 31 juillet 1922 à Paris 6ème arrondissement, Marcelle Adrienne Léonie Husson[5], née le 29 juin 1899 à Paris 11ème arrondissement, fille de François Édouard Husson et de Lucie Augustine Dorient, dont il a une fille.

Lucien Eugène Lautrec est né le 19 juillet 1909 à Nîmes et décédé le 26 novembre 1991 à Paris 5ème arrondissement.

Il est venu au dessin grâce à des étiquettes de vin. Il commence par étudier à l’école de Beaux-Arts de Nîmes, sa ville natale, de 1925 à 1927 avant de compléter sa formation dans l’atelier de fresque de Ducos de La Haille, à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts.

Le maire de Nîmes a organisé le 12 décembre 1950 un concours pour nommer le directeur de l’école des Beaux-Arts de Nîmes. Ce concours se faisait sur titres et sur épreuves. Les épreuves se déroulaient sur les plans suivants : présentation du candidat, lecture de son projet d’activité et commentaires à développer sur toute question du jury ; présentation d’un dossier relatif aux qualités d’ordre artistique (œuvres personnelles, diplômes, titres, récompenses, achats et commandes de l’Etat, œuvres figurant dans les musées) ; présentation d’un dossier sur les activités pédagogiques accomplies ; épreuve pédagogique dans un cours réel de l’Ecole (correction d’un dessin d’élève présent). Plutôt que de prendre le 1er du concours (Lucien Lautrec ayant obtenu 105 points avec une note supérieure à toutes les épreuves sur tous les candidats), le sénateur-maire Tailhades a demandé au ministre de nommer le 4ème (Claude Escholier, qui avait obtenu 93 points) sur le poste[6]. Donc il y a eu un conflit avec la ville de Nîmes, qui s’est terminé par un procès, gagné par Lucien Lautrec avant que celui-ci ne monte à Paris.

En 1936, il rallie le groupe « Forces Nouvelles » désireux de retrouver une tradition réaliste. Dès cette époque, il expose à Paris, au Salon des Tuileries et au Salon d’Automne et ce sans discontinuer jusqu’en 1939, date à laquelle il fut mobilisé.

Après la guerre, il est membre de différents groupements notamment au Salon de mai, avec des compositions d’une gamme colorée aérienne, où les bleus d’azur et les verts d’eau dominent. De même, il se rallie à l’abstraction relative où les œuvres sont toujours construites sur une observation et une analyse de la réalité, considérée comme le support de l’émotion.

En 1948, il fonde à Paris, avec Robert Lapouiade et Michel Carrade l’Académie Populaire des Arts Plastiques. Elle voit défiler, génération après génération, jusqu’en 1979, une bonne partie du milieu artistique parisien.

Son riche et très technique enseignement contraint les élèves à un long et rigoureux travail sur la ligne et le point avant d’être autorisés à aborder la couleur et à s’exprimer plus librement avec des techniques humides, sur des supports à la préparation desquels ils sont également initiés. Dès 1966, les élèves sont aussi invités à aborder d’autres modes d’expression, par exemple la sculpture par le pliage de feuilles de métal et le dessin animé par le grattage de pellicules.

Il dirige par ailleurs la Direction nationale des Académies populaires de la Fédération du même nom. Il a décoré de larges compositions claires et d’un dessin volontaire la salle des mariages de la mairie de Brou (Eure-et-Loir), qui ne sont plus visibles malheureusement depuis les travaux de rénovation de 1970. Il réalisa aussi deux panneaux muraux (disparus eux aussi) pour la Salle du Conseil de la préfecture de Versailles. Lucien Lautrec est également un maître-verrier au moment où les églises de France, abimées par la guerre, accueillent de nouveaux décors. En matière de vitrail, on lui doit certains vitraux de l’église de Saint-Dié où les couleurs et les formes, dynamiques, créent une harmonie propice tant à la réflexion qu’au recueillement[7].

Par suite du travail de recherches effectué par mes étudiants du DU de généalogie, en 2013, et complété par un autre étudiant lors d’un stage, j’ai eu la chance de rencontrer sa petite-fille Florence. Celle-ci m’a alors confié quelques anecdotes sur son grand-père : Il allait prendre le petit déjeuner avec elle quand elle dormait dans sa voiture, un coupé sport. Elle se souvient de lui comme d’un grand solitaire. Il oubliait très souvent ses affaires un peu partout. Il fut le locataire de plusieurs appartements au 10 rue Tournefort à Paris (appartements loi 1948). Il y a d’ailleurs une plaque à cette adresse. Il a été ami avec Lionel Jospin.

Au lieu d’aller jouer avec les mauvais garçons du Mont Duplan, il fallait astiquer les colonnettes de la salle à manger à la térébenthine (sa mère lui interdisant ainsi d’aller jouer). Les relations familiales de Lucien Lautrec ont été compliquées, sauf avec sa famille maternelle nîmoise. Grand-père atypique, il a refusé, après que sa petite-fille Florence a eu 6 ans, d’aller en vacances avec la famille de son fils parce qu’il allait trop s’attacher et qu’on était toujours déçu.

III – Les hommes de loi :

Définir et cerner un profil particulier aux hommes de loi nobles, ou tentant de faire paraître leur noblesse, est un pari risqué car il n’existe pas de type de carrière particulier les concernant. En revanche, si l’on s’en tient aux seuls personnages qui ont revendiqué haut et fort leur noblesse, cette requête s’insère dans une stratégie car il s’agit, pour eux, de se faire reconnaître comme membres d’une société d’élite. Être un homme de la loi est déjà prestigieux, ce n’est pas donné à n’importe qui, il faut être lettré, avoir fait des études. Être un homme de loi noble renvoie en plus à une image de classe privilégiée et dominante. Elle permet aussi de combiner l’appartenance à un groupe, incarnation de valeurs de référence, à une autorité réelle.

1 – Dans la branche aînée :

Jacques de Lautrec, procureur en 1667.

Pierre II de Lautrec, seigneur de Vieussan, La Treille et autres lieux. Lieutenant et magistrat en la judicature de Vieussan au moment de son mariage.[8] Il est nommé bailli royal de Vieussan, Tarassac et autres lieux, puis de Causses-et-Veyran, à la suite de son mariage.

Jean-Pierre Ier de Lautrec, occupe la charge d’avocat du roi en la sénéchaussée et siège présidial de Béziers, et ce jusqu’à son décès.

Jean-Pierre II de Lautrec, reprend la charge d’avocat du roi au siège de Béziers occupée par son père.

Jean-Pierre-Bruno-Xavier de Lautrec, qualifié d’ancien magistrat en 1850.

Jean Pierre Marie Henry François de Lautrec, avocat entre 1824 et 1850.

2 – Dans différentes branches cadettes :

Jean Martin de Lautrec, avocat en Parlement et viguier du Poujol sur Orb en 1697.

Jean Pierre Benoît Lautrec, homme de loi en 1805. Avocat et ex-juge de paix en 1833 et 1845.

Jean Jacques de Lautrec, lieutenant de justice entre 1664 et 1667.

Jean-Martin Lautrec, notaire au Poujol-sur-Orb entre 1794 et 1824, passant du statut de notaire public en 1796 à celui de notaire impérial en 1807 et notaire royal en 1824.

Fernand Louis François Lautrec, né le 6 décembre 1905 au Poujol-sur-Orb, décédé le 19 juillet 1998 à La Tronche (Isère). Il obtient le grade de bachelier en philosophie le 12 juillet 1924 à Montpellier avec la mention « bien »[9]. En octobre 1924, on le retrouve inscrit en licence de droit à la faculté de Montpellier qu’il obtient en 1927 avec la mention « assez bien ». Il obtient le brevet de préparation militaire de cavalerie d’après le JO du 2 octobre 1927. En 1929, il fait un DES de droit privé mais est ajourné avec 13 de moyenne. En 1930, il passe un DES d’économie politique et de droit public qu’il obtient avec la mention « passable ». Il est nommé suppléant du juge de Paix de Béja (Tunisie) à la date du 8 février 1931.

IV – Les militaires de carrière :

Traditionnellement, on considère la noblesse comme l’ordre des hommes faisant profession des armes, même si noblesse et métier des armes ne coïncident pas exactement. Nous venons de le voir, à côté des guerriers, la noblesse compte de nombreux magistrats et de gentilhommes vivant simplement sur leurs terres. Ce n’est pas incompatible.

Toutefois, la noblesse a une vocation militaire forte. Elle doit l’impôt du sang, fournissant la plus grande partie des officiers même si nous pouvons la trouver aussi dans la troupe. Ce devoir militaire des nobles est en principe individuel.

1 – Sous l’Ancien Régime :

Jean Pierre Bruno de Lautrec, seigneur de Vieussan et Tarassac, décédé le 18 janvier 1779. Capitaine au régiment de Bourbon-Infanterie, il est promu chevalier de l’Ordre de Saint-Louis en 1763.

Guillaume de Lautrec, nommé lieutenant en second au régiment de Bourbon Infanterie le 16 février 1744 puis le 6 août de la même année lieutenant dans le même régiment. Il mène deux campagnes : en 1744 et 1745 sur le Rhin et de 1746 à 1748 en Flandre. Le 18 avril 1749, il est nommé capitaine puis, le 10 février 1749 il est qualifié de capitaine à la réforme pour cause de blessures et infirmités. Replacé capitaine le 14 février 1751. De 1756 à 1761, il semble être sur les côtes de l’Océan[10]. Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis le 16 mai 1762, il est capitaine de Grenadier le 11 mai 1769, et mis à la retraite le 17 juin 1770 en qualité de capitaine de grenadier au régiment de Bourbon Infanterie 600 livres. Il demeure alors à Béziers place de la Magdeleine.

2 – De la Révolution française au Second Empire :

Jean Pierre Guillaume de Lautrec, Officier de santé de 1819 à 1861. Médaillé de Sainte-Hélène en tant que sergent au 67e de Ligne.

Jean-Joseph de Lautrec, Entré au service comme sous-lieutenant au 10ème Régiment des chasseurs à pied compagnie Guibert à Maubeuge le 15 septembre 1791. Il est nommé lieutenant le 29 mai 1792. Il est blessé d’un coup de feu au pied droit à la bataille de Neerwinden[11]le 18 mars 1793 en combattant avec le courage et l’honneur qui l’ont guidé dans toutes les occasions ainsi qu’il est constaté par un certificat qui lui a été délivré par le Conseil d’Administration du 10ème Bataillon d’Infanterie légère. Suspendu comme ci-devant noble le 15 septembre 1793, après deux ans passés dans l’armée du Nord, il est réintégré dans le même corps le 21 germinal an 3 (10 avril 1795). Réformé par suite de l’arrêté du Directoire exécutif du 18 nivôse an 4 (8 janvier 1796), il est remis en activité dans le 3ème bataillon de la 18ème Légion par arrêté des Consuls le 6 fructidor an 10 (24 août 1802). Embarqué à Brest pour les Indes Orientales sur le navire « la côte d’or » le 9 ventôse an 11 (28 février 1803), il arrive à l’île de France le 4 fructidor de la même année (22 août 1803). Passé au Régiment de l’île de France le 6 fructidor an 13 (24 août 1805), il est nommé capitaine par rang d’ancienneté le 4 mars 1807. Il est employé à l’île Bourbon par le capitaine général des établissements français à l’île du cap de Bonne Espérance le 5 octobre 1809. Parti à l’Ile Bonaparte[12] le 7 octobre 1809 comme capitaine commandant d’armée pour défendre l’île contre les Anglais. Nommé provisoirement par le commandant de l’île Bourbon commandant d’armée à Saint Denis le 19 octobre 1809. Membre du tribunal spécial chargé de juger les délits des esclaves le 3 décembre 1809. Il est confirmé par le capitaine général dans ses fonctions de commandant d’armes le 1er février 1810.Prisonnier à l’Ile Bonaparte le 9 juillet 1810. Il est débarqué à Morlaix le 10 août 1811 et est placé provisoirement comme capitaine au 29ème régiment d’infanterie légère trois jours plus tard puis confirmé dans ce grade le 25 novembre de la même année. Chef de bataillon le 22 mars 1812. Commandant d’armes de 4ème classe employé à la Grande Armée le 11 août 1812. Il est blessé le 27 novembre 1812 à la bataille de Barysaw[13] fait prisonnier de guerre le lendemain lors de la campagne de Russie. Il est mort le 26 janvier 1813 à Barysaw[14] (dans les désastres de l’armée de Russie comme il est dit dans son dossier). Des trois blessures reçues au service de l’Etat, il écrit que celle qui le gêne le plus est due à une balle entrée par l’échancrure sciatique du côté droit, a traversé le bassin, déchiré les canaux urinaires pour sortir à gauche de la verge et l’a excoriée dans toute sa longueur, reçue le 8 juillet 1810 alors que l’île Bourbon était attaquée par les Anglais et qu’il commandait le front ouest. Le même jour, il reçut aussi un coup de sabre dans le dos qui lui a brisé les téguments du muscle long du dos. De ce fait, les exercices trop violents le font considérablement souffrir, comme de rester trop longtemps à cheval. Il est proposé Chevalier de la Légion d’honneur le 22 mars 1812. Son dossier dit qu’il s’est fait connaître dans tous les temps pour un officier distingué, tant par sa valeur que par sa bravoure et la conduite qu’il a tenue.

Jean-Pierre de Lautrec, officier de santé entre 1795 et 1801, chirurgien en 1816.

3 – Connus grâce aux fiches matricules :

Félix Joseph Lautrec, né le 18 mai 1866 au 4 rue du Vieux Cimetière à Béziers, décédé le 6 novembre 1902 à Montpellier. De la classe 1886[15], il est décrit comme un jeune homme aux cheveux et sourcils châtain foncé, aux yeux gris, au front ordinaire, au nez moyen, à la bouche petite, au menton à fossettes, au visage ovale, mesurant 1,68m. Son degré d’instruction est estimé entre 1 et 2, ce qui signifie qu’il sait tout juste lire et écrire. Engagé volontaire à l’Armée pour 5 ans le 10 février 1887, il est incorporé au 2e Régiment du Génie. Le 6 juin 1887, il est réformé n°2 par avis de la Commission Spéciale de Montpellier pour « astigmatisme de l’œil gauche réduisant l’acuité visuelle de moitié ».

Antoine Lautrec, né le 9 août 1861 en la maison paternelle place de l’Airette à Béziers, décédé le 3 janvier 1913 au 30bis rue Casimir Péret à Béziers. Recruté en 1881[16], il est décrit comme un jeune homme aux cheveux et sourcils châtain clair, aux yeux châtains, au front ordinaire, au nez bien fait, à la bouche moyenne, au menton rond, au visage ovale, mesurant 1,77m. Il possède des cicatrices au front et au menton. Son degré d’instruction général nous est inconnu, mais il est « exercé » en termes d’instruction militaire. Engagé volontaire dans le 2e Régiment du Génie pour 5 ans à compter du 13 février 1882, il passe au 1er Régiment du Génie le 1er mars 1883 pour être détaché comme ouvrier militaire sur le réseau des chemins de fer du Midi en tant que 2e ouvrier. Il est maintenu en congé le 20 septembre 1886 en attendant son passage dans la réserve qui intervient le 13 février 1887.

Ernest de Lautrec, né le 27 mars 1862 à Roujan. Cheveux et sourcils châtain clair, yeux châtains, front découvert, nez moyen, bouche moyenne, menton à fossette, visage ovale. Taille 1m70. Degré d’instruction générale : 1-2-3. Engagé volontaire le 31 mars 1882 à Béziers pour le 4ème Régiment du Génie – arrivé au Corps le 1er avril suivant. N° matricule 4473 – 2e sapeur-mineur le 03 avril 1882 – caporal le 04 mai 1883 – sergent le 24 juin 1885 – Passé dans la réserve de l’armée active le 31 mars 1887 – Rengagé pour 5 ans le 06 avril 1887 dans les conditions de la loi du 23 juillet 1881 – sergent fourrier le 26 avril 1887 – sergent le 23 octobre 1887 – sergent major le 20 novembre 1887 – adjudant le 24 décembre 1889 –Rengagé avec prime pour 5 ans le 18 février 1892 à compter du 06 avril 1892 – adjudant sous-officier stagiaire le 07 octobre 1893 pour être employé à Mont-Louis – adjoint de 3e classe le 19 mai 1895 par décret du Président de la République[17] – officier d’administration de 2e classe le 6 juillet 1900 à l’Etat-major particulier du Génie à Bellys – Nommé à Médéa le 14 septembre 1903.[18] Chevalier de la Légion d’Honneur le 12 juillet 1905[19], Officier de la Légion d’Honneur le 28 septembre 1924.

4 – Au service de l’étranger :

César de Lautrec, né vers 1663 à Laval-Roquecezière, décédé le 6 mai 1731 à Prenzlau (Allemagne), inhumé le 8 mai 1731 dans le cimetière de l’église de Saint Jacob à Prenzlau selon le rite luthérien. Capitaine de cavalerie au service de Sa Majesté danoise. Le 20 février 1748, à Gröningen (Allemagne), on trouve l’acte de décès de la veuve Lautrec enterrée le 24 février suivant dans l’église française, épouse de défunt Monsieur de Lautrec qui a été capitaine de cavalerie. Il s’agit vraisemblablement de l’épouse de César de Lautrec.

Pierre de Lautrec, Officier et capitaine réformé de cavalerie au service de Sa Majesté le roi de Prusse entre 1702 et 1728. En tant que colonel, il est à la pension en 1718.

V – Prêtres et religieuses :

Comme toute bonne famille noble qui se respecte, après les soldats, nous avons forcément des membres qui sont entrés en religion. Cet engagement fait partie du sens exacerbé du service et du devoir qui est une des caractéristiques de la noblesse. On se met certes au service du Roi, que ce soit de manière civile ou militaire, et nous l’avons vu ci-dessus. Mais aussi on peut prendre le chemin du « plus haut service », celui de Dieu. Le milieu nobiliaire reste en effet très attaché par son histoire et ses origines à la pratique religieuse et aux valeurs chrétiennes.

Il était donc « évident » de trouver des membres du clergé dans cette famille. En voici quelques-uns :

1 – Les prêtres :

Barthélémy de Lautrec, né vers 1619, décédé le 15 septembre 1705 au Poujol-sur-Orb, prêtre.

Marc Antoine de Lautrec, né le 10 janvier 1722 à Béziers, paroisse Sainte-Madeleine. Prieur curé de Molinons (Yonne) à partir du 22 septembre 1753. Il décède dans cette commune le 18 août 1791, âgé de 69 ans.

Barthélémy de Lautrec, décédé le 27 février 1708 au Poujol-sur-Orb (Hérault), prêtre.

Jean Barthélémy de Lautrec[20], né le 29 novembre 1712 au Poujol-sur-Orb, décédé au même lieu le 30 juillet 1783, prêtre.

André Martin de Lautrec, né le 1er janvier 1725 au Poujol-sur-Orb, curé de Roujan et d’Hérépian, reclus au Poujol-sur-Orb durant la Révolution. Décédé le 28 mars 1809 au presbytère d’Hérépian.

2 – Les religieuses :

Jeanne de Lautrec, née le 30 juin 1734 à Béziers, paroisse Sainte-Madeleine, décédée le 30 octobre 1804 (8 brumaire an XIII) place de la Magdeleine à Béziers. Ex-religieuse de Saint-Ursule.

Marie de Lautrec, née le 5 octobre 1738 à Béziers, paroisse Sainte-Madeleine, sœur de la précédente. Religieuse sous le nom de sœur Colette.

Madeleine Amarante Cunégonde de Lautrec, née le 6 décembre 1803 (15 frimaire an XII) à Villemagne-l’Argentière, décédée le 13 janvier 1879 au couvent Sainte Claire de Béziers. Entrée en religion sous le nom de sœur Sainte Agathe.

Thérèse Françoise Rosalie de Lautrec, née le 21 décembre 1810 à Bédarieux, décédée le 28 septembre 1861 dans l’établissement de Sainte Claire, rue Bel Air à Béziers. Entrée en religion sous le nom de sœur Saint Augustin.

VI – Des soucis avec la justice :

Les descendants du second ordre revendiquent beaucoup de vertus, parmi lesquelles nous pouvons citer : le respect de la parole donnée, la droiture, l’honnêteté intellectuelle, la recherche de l’excellence et de l’élégance, la générosité, le respect d’autrui, le courage, le sens de la hiérarchie… Tout cela peut paraître bien prétentieux, car il est bien évident qu’aucun d’entre eux ne peut réunir tant de qualités, mais il est sans doute vrai que les héritiers de la noblesse s’efforcent plus souvent que d’autres de les mettre en pratique. Toutefois…

Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une famille d’extraction noble que forcément tous les membres sont purs comme l’enfant qui vient de naître. Là encore, comme dans toutes les familles, quelques-uns de ses membres ont eu maille à partir avec la justice.

1 – Sous l’Ancien Régime :

César de Lautrec, sur ordre du Roi contresigné par Colbert en date du 1er février 1686, est transféré des prisons du For l’Evêque[21]à la Bastille, sans doute à cause de sa confession protestante, la révocation de l’Édit de Nantes étant intervenue en octobre 1685. Toujours sur ordre du Roi contresigné de Colbert, il en est relâché le 17 mars 1686. Son numéro de prisonnier est le n°1128.

Un certain Etienne de Lautrec, marchand à Paris, visiblement apparenté à César, est transféré du petit au grand châtelet le 21 novembre 1685, embastillé le 4 février 1686 par ordre du 1er février et libéré le 3 mars 1686.

Catherine de Lautrec, née le 23 février 1718 au Poujol-sur-Orb, décédée au même lieu le 18 octobre 1803. Mariée le 21 avril 1744 au Poujol-sur-Orb avec Joseph Combescure, fils de Mathieu Combescure et de Marie-Anne Gondrat. C’est sans doute elle qui est liée à un procès pour coups et blessures contre Marie Réel et Simon Gardi en 1776[22].

2 – Au XIXe siècle :

Jeanne Élisabeth Amaranthe de Lautrec, lors d’une audience en date des 17-18 février 1854 devant la Cour d’Assises de l’Hérault, elle est accusée avec quatre autres personnes d’« avortement suivi de mort, recel de cadavre et inhumation clandestine ». Elle est condamnée à dix ans de réclusion.

Joseph Marc Antoine de Lautrec, né le 9 octobre 1835 à Bédarieux, Décédé le 4 décembre 1891 au chemin de Montalivet à Marseille. On trouve un cahier des charges, clauses et conditions en date du 11 juillet 1882 auxquelles seront adjugées à l’audience des criées du tribunal civil de première instance de l’arrondissement de Béziers pour servir à la vente par expropriation forcée des immeubles lui appartenant, à la requête de Léon Hévrard, propriétaire domicilié à Roujan. Devant Me Saturnin Viguier, notaire de Roujan, le 30 octobre 1877 a été passé un acte contenant reconnaissance de prêt et obligation par Joseph Marc Lautrec (dit Joseph Marie), tailleur d’habits, au profit de Léon Hévrard d’une somme principale de 4000 francs avec 5% d’intérêts. Le 29 novembre 1881, Léon Hévrard lui demande par exploit d’Antoine Arnaud, huissier de justice, de lui payer les 400 francs d’intérêts et 11 francs 20 centimes (coût du commandement) avec déclaration que s’il n’est pas payé dans les 30 jours qui suivent, il sera procédé à la saisie réelle de ses biens. Les biens sont saisis par Me Antoine Arnaud les 2-3 janvier 1882 avec exploit de dénonciation le 4, le tout transcrit au bureau des hypothèques de Béziers le 6 janvier, volume 143 n° 14. Après description des biens, le cahier des charges nous donne les conditions de la vente et les mises à prix des sept lots. Le 20 février 1882, le cahier des charges a été publié et la vente a lieu un mois plus tard par des enchères à la bougie. Les lots sont adjugés à Léon Hévrard sauf le deuxième lot à Auguste Maurel, habitant Roujan, et le septième lot, qui comprend la maison où vivent Joseph Marie Lautrec et sa famille, à Jean Benoît, habitant Carlencas. Le 1er mai 1882, comme les lots 4 à 6 ont été attribués à Joseph Marie Lautrec, il y a de nouveau une vente aux enchères et ils sont attribués à Léon Hévrard. On comprend mieux ainsi le pourquoi du déménagement de sa famille vers Marseille.

VII – Quelques difficultés d’état civil :

Quand on fait de la généalogie, nous nous trouvons quelquefois devant des énigmes. Je dis souvent à mes étudiants qu’il faut commencer par rechercher l’état civil et les registres paroissiaux pour établir ce que j’appelle le squelette de l’arbre, le tronc si vous préférez ou plutôt l’écorce. Ensuite, il faut aller chercher la chair, la sève. Les personnes que nous recherchons ne sont pas que des dates et des lieux, elles ont eu, tout comme nous, une vie et il est intéressant d’aller la récupérer. Oui mais… Parfois…Avant de faire tout ce travail de recherche approfondie, il faut résoudre des mystères comme ceux que je vais vous présenter.

Joseph Lautrec, né le 26 juillet 1768 à Saint-Geniès-de-Fontedit, décédé au même lieu le 5 novembre 1769. Cependant on lui trouve par la suite une vie tout ce qu’il y a de plus normale avec un acte de décès le 4 novembre 1842 à Saint Genies de Fontedit. Marié le 16 décembre 1814 au même lieu avec Marie Crestou, née le 7 novembre 1772 au même lieu, décédée au même lieu le 12 juillet 1831, fille d’Etienne Crestou, cultivateur, et de Marguerite Rouvière. Agriculteur en 1817 et il sait signer. L’acte de décès trouvé en 1769 concerne-t-il son frère Jean-Antoine né avant lui ? Ou bien est-ce Jean-Antoine qui a pris le prénom de son frère Joseph après le décès de son frère ? Qui est ce Joseph marié en 1814 ? C’est difficile de le savoir pour le moment.

Marianne Lautrec, née le 13 juin 1799 (25 prairial an VII) au Poujol-sur-Orb, décédée au même lieu le 23 juin 1800 (5 messidor an VIII). C’est cependant son acte de naissance qui est présenté lors du mariage de Marianne Lautrec, domestique, avec Jean-Pierre Combescure, ancien salpêtrier et tonnelier, né le 17 février 1798 à Pézenas, fils d’autre Jean-Pierre Combescure et de Jeanne Gautier en date du 15 mars 1827 à Pézenas. Là encore, qui est décédée en 1800 ? Qui se marie en 1827 ?

Eugénie Pauline de Lautrec, née le 1er août 1819 à Bédarieux suivant acte de notoriété constaté le 09 mai 1843 par le Juge de paix du canton de Bédarieux, homologué le 16 mai 1843 par le Tribunal d’Instance de Béziers. Nous sommes à la fin des fenaisons quand elle naît. Son père est agriculteur, métayer à Montplaisir à côté de Bédarieux. Il a sans doute autre chose à faire que d’aller perdre du temps à déclarer la naissance de ce neuvième enfant, encore une fille qui plus est (depuis 1808 date à laquelle est né son dernier fils, sa femme ne donne naissance qu’à des filles). Il a 49 ans, sa femme 45. Tout comme la précédente née deux ans plus tôt, elle n’était sans doute pas prévue et on peut la qualifier de « répapiade ». La naissance est donc passée à la trappe. Ce n’est qu’au moment de son mariage avec Pierre Blayac qu’Eugénie Pauline se rend compte qu’elle n’a pas d’acte de naissance à produire et qu’il faut donc y pallier. Habituellement, dans un acte de notoriété, la date n’est pas aussi précise. Il n’y a pas d’évènement marquant particulier ce jour-là, si ce n’est le baptême de la nouvelle-née qui lui permet de savoir très précisément sa date de naissance. Pouvant produire une date de naissance officielle, les amoureux peuvent donc se marier sans traîner, dès le 18 mai.

VIII – Rectification du nom :

La fascination pour une identité nobiliaire se manifeste sous plusieurs formes, mais la plus évidente concerne sans doute les demandes de changement de nom publiées très régulièrement au Journal officiel. Cette procédure dite administrative, non dénuée assez souvent d’arrière-pensée, a au moins le mérite d’être facilement repérable grâce à la publicité imposée aux requérants. La lecture du Journal officiel est toujours très instructive et le nombre impressionnant de noms à particules sollicités sous forme d’addition, voire de substitution pure et simple, ne laisse aucun doute sur l’attrait encore exercé par les patronymes d’apparence aristocratique.

Il existe d’autres moyens légaux mais beaucoup plus discrets faute de publicité d’orner son nom d’une particule : la rectification d’état civil devant les tribunaux. Je vais vous présenter trois cas dans ce domaine. Les personnes appartiennent à des branches différentes. Tous ont eu le désir de récupérer cette particule.

Jean Joseph Marie de Lautrec-Béziers, décédé le 19 mars 1916 à Florensac. Il fait, avec son frère Jean Pierre François, profession de banquier (1867-1873). C’est avec lui qu’il s’emploie à recouvrer la particule de son nom de famille, supprimée à la Révolution. Il y parvient par jugement du tribunal de Béziers en date du 23 avril 1863 : Rectification des patronymes en mentions marginales avec ajout de la particule « de » dans les actes de mariage et de naissance antérieurs. Transcription du Jugement de rectification du patronyme dans le registre des actes de naissances de Béziers à la date du 4 mai 1863.

Édouard Jules Hippolyte de Lautrec obtient, par jugement de la 1ère chambre du Tribunal Civil de Béziers en date du 29 juillet 1898, le droit de rajouter la particule à son patronyme, après avoir fourni les preuves de sa filiation. Édouard commence le 29/07/1898 : lors de son mariage, on lui a donné une mauvaise date de naissance. 1853 au lieu de 1852. Cela ne va pas du tout ! Et tant qu’à modifier, il demande au tribunal à récupérer sa particule. On a écrit sur son acte de naissance Lautrec au lieu de « de Lautrec ».  Plairait-il au tribunal de modifier en même temps, pour lui et ses enfants ?  Mais il plaît mon bon monsieur, il plaît même sans problème ! Les deux sont modifiés illico presto (enfin… Presque !).

Frédéric de Lautrec obtient, par jugement de la 1ère chambre du Tribunal Civil de Béziers en date du 27 mai 1899, le droit de rajouter la particule à son patronyme, après avoir fourni les preuves de sa filiation. Frédéric, quant à lui, aura un peu plus de mal à obtenir cette particule oubliée. Le 27 mai 1899, le tribunal demande des preuves qu’elle a bel et bien existé auparavant, contrairement à Edouard Jules Hippolyte. Le voilà qui doit remonter sa généalogie, mariage après mariage, jusqu’au 10 février 1539, date à laquelle Jean de Lautrec, qualifié fils d’Antoine et petit-fils de Corbeyran, épouse Jeanne ou Rosine de Lavit.

Pour les généalogistes, Jean fils d’Antoine et petit-fils de Corbeyran, cela pose un problème. Soit la date n’est pas la bonne, soit la filiation. En tout cas, cela ne colle pas. Mais bon, pour le tribunal civil de Béziers, peu lui chaut. Ce qu’il voulait, c’était une particule en continu, accolée au nom de Lautrec, de ce Jean jusqu’au père de Frédéric. Et ça, ça colle. C’est bon ! Il lui accordera donc le retour de la particule.

Ce jugement a en plus un deuxième effet. Depuis que cette famille est étudiée, personne ne savait où un de leurs ancêtres, Guillaume de Lautrec, avait épousé Marie-Jeanne Jouxtel. Grâce à cet acte de 1899, le mystère est résolu : Morlaix, paroisse Saint Mathieu, le 10 janvier 1764. Sachant que leur fils aîné naquit en 1765 à Molinons, dans l’Yonne, entre Sens et Troyes (tout à côté quoi), Morlaix n’était pas vraiment la première idée qui venait à l’esprit pour chercher ce mariage ! Et pourtant ! Cela démontre une fois de plus l’intérêt d’effectuer des recherches correctes dans les archives et de ne pas se contenter de recopier ce que disent les autres auteurs sans esprit critique.

Nous arrivons au bout de notre périple. Pour rester sur la mythologie nordique dont je vous parlais au début, Jörmungand, le serpent fils de Loki est devenu tellement immense en entourant la Terre qu’il s’est mordu la queue. De même, j’ai essayé de vous faire faire un tour de cette famille Lautrec, peu connue. Nous avons commencé en 1539 et nous sommes revenus à cette même date grâce aux rectifications du nom demandées par les descendants du couple originel : Jean de Lautrec et Jeanne de Lavit.


[1]AD-Paris 14° – 6D242 – p.16/31.

[2]Dossier d’admission à la société des gens de lettres, Archives Nationales, dossier 454 AP 241.

[3] Naturalisée française le 24/12/1910, née le 14/12/1886 à Amsterdam (Source Filae).

[4] Acte transcrit sur les registres du 7ème arrondissement de Paris le 16 novembre 1912.

[5] Prénommée vicomtesse Dora Gabrielle de Lautrec, dans le Bottin mondain de 1982 (p.917), elle réside au 79 Bd de Montparnasse à Paris 6ème arrondissement et à « La Chatterie » à Lestiou (Loir-et-Cher). Sa fille Béatrix est citée.

[6] Nomination annoncée le 15 mai 1951 dans Midi Libre.

[7]Un de ses élèves, Dominique Gutherz, ancien directeur de l’école des Beaux-Arts de Nîmes, a travaillé avec lui sur ces vitraux.

[8]Maintenue de noblesse du 19 avril 1743

[9]Dossier scolaire en série T des AD34.

[10]C’est marqué ainsi mais rayé sur son dossier militaire.

[11] Neerwinden en Belgique. La bataille marque la fin de la tentative de Dumouriez de déborder les Pays-Bas du Sud et le commencement de l’invasion de la France par les alliés. Les Impériaux, sous les ordres de Cobourg, qui marchaient depuis Maastricht vers Bruxelles, ont rencontré le 15 mars 1793 l’avant-garde de l’armée française qui se réunissait à la hâte à Tirlemont, et ont pris position entre Neerwinden et Neerlanden.

Le 18 mars, après une petite escarmouche, Cobourg se replie afin de réarranger son armée entre Racour et Dormael, et de ce fait, réussit à parer la tentative d’encerclement menée par les Français. Dumouriez est donc contraint de combattre sur plusieurs fronts en même temps. L’enthousiasme et l’entrain des Français compensent leur manque de formation ainsi que leur indiscipline, mais ils ne peuvent malgré cela rien faire contre les troupes de l’armée impériale, aguerries et connaissant mieux les techniques de combat à découvert. La chance de voir se concrétiser un deuxième Jemappes disparaît, le ratio de 11 attaquants pour 10 défenseurs au lieu de 2 contre 1 à Jemappes menant inexorablement vers la défaite. Cet échec de l’armée révolutionnaire française donna le signal de sa dissolution presque complète.

[12]Nom que prit l’île de la Réunion de 1806 à 1814.

[13] Tableaux par corps et batailles des officiers blessés et tués pendant les guerres de l’Empire (1803-1815) et l’état nominatif des officiers blessés et tués de 1816 à 1911 par A. Martinien.

[14]En Biélorussie, près de la rivière Bérézina, écrit Borisov en russe ou Borisow en polonais comme dans son dossier. En 1812, Barysaw est devenu un endroit crucial lorsque les troupes de Napoléon ont passé la rivière Berezina. Les Français ont feinté une traversée dans la ville même, mais ont échappé avec succès aux armées qui les poursuivaient en construisant deux ponts en bois au nord de la ville, à Studianka. Cet événement est reconstitué par les militaires locaux lors des festivals de la ville. Un canon de l’époque napoléonienne est conservé par le musée de la ville.

[15]Béziers – 1R998 – matricule n°324.

[16] AD34 – 1R954 – matricule n°21.

[17]JORF, 21 mai 1895, n° 138, p. 2858.

[18] AD34 1R964 vue 43

[19] Base Léonore – Matricule 70936 (dossier de 22 pages cote : 19800035/355/47796)

[20]En 1773, c’est monseigneur Lautrec qui est curé de la paroisse de Saint-Félix de Béziers. Est-ce lui ?

[21] Celle-ci, devenue prison royale à partir de 1674, est uniquement destinée au caprice du roi et des grands, et remplie les trois quarts du temps de prisonniers arrêtés sans prévention, sans jugement, et qui n’en subirent aucun durant leur détention. Obtenir une lettre de cachet pour le For-l’Évêque était une simple formalité, un jeu, un amusement. Un seigneur qui voulait se venger commençait par obtenir un ordre pour le For-l’Évêque. La captivité y étant assez douce et ne devant pas s’y prolonger indéfiniment, on ne craignait pas de l’accorder à la légère. Le seigneur qui tenait son ennemi sous les verrous persévérait, grossissait le crime, et l’autre n’étant pas là pour se défendre, le premier finissait toujours par obtenir le transfert dans une autre prison où la prolongation de la captivité était de droit. Le For-l’Évêque était donc souvent l’antichambre de la Bastille. Il n’existait au For-l’Évêque aucune espèce de règlement. Le geôlier faisait payer au poids de l’or aux mauvais sujets de bonne maison, aux débiteurs fripons et aux comédiens, les complaisances qu’il avait pour eux. Il y avait quelques chambres assez bien meublées et assez commodes, qu’il laissait aux prisonniers riches moyennant une forte rétribution ; le reste de la maison était horrible, mal tenu, humide et insalubre, aussi était-ce la prison qui contenait le plus grand nombre de malades. Ce n’était pas sans motif qu’on avait appelé l’endroit où était situé For-l’Évêque « quai de la Misère ».

[22] Dont on retrouve les pièces en sous-série 2 E 72/445 aux AD 34 (document du notaire Jean Poujol)