Après le départ de mon deuxième associé, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant de partager mon expérience. Si ce que j’ai vécu peut permettre à d’autres de ne pas le vivre, alors je me dis que je ne l’aurais pas vécu en vain.

Selon Franck Debue, avocat belge spécialisé dans les conflits entre associés, dont j’ai découvert l’existence via LinkedIn, il y a cinq erreurs à éviter pour créer une bonne association. Tout ne me concerne pas mais autant parler des cinq :

1/Ne pas considérer les valeurs de l’autre personne avec qui vous vous associez et ne pas avoir partagé les siennes avec celle-ci. Il vaut mieux avoir la même base pour ne pas se faire bousculer inutilement. Est-ce que la personne a bien compris qu’elle va devenir son propre patron et que donc tout va dépendre de son travail et pas des ordres que vous allez lui donner (la personne est votre associé, pas votre employé) ? Est-ce le respect de la clientèle, une réponse humaine presque sociale aux desiderata ? Est-ce le côté commercial qui importe plus ? Parfois cela peut permettre de travailler chacun avec ses valeurs sans se marcher sur les pieds.

2/S’associer sur la base d’un 50/50. Si jamais il y a conflit entre vous deux, qui vous départage ? Avec mon premier associé, c’est l’erreur que nous avions commise. Du coup, en accord avec Fabien quand nous nous sommes associés, j’ai gardé la majorité des parts.

3/Ne pas compléter votre agenda jour après jour, en marquant à l’heure près ce que vous avez fait, pour quel dossier ou dans quel cadre, seules preuves objectivables du travail effectué par chacun. Ce qui permet de rester dans du factuel et pas dans la croyance par exemple du « je travaille plus que lui ». L’agenda permet de supprimer cela. Et en cas de conflit, il y a des preuves tangibles de qui fait quoi. Dès que nous nous sommes associés avec Fabien, nous avons mis en place cet agenda, pour lui, pour moi et pour Anne. Ce n’était pas pour nous fliquer les uns les autres mais pour être sûrs que les dossiers avançaient.

4/Ne pas avoir pensé au divorce lors de la lune de miel, pour éviter les discussions compliquées en pleine séparation s’il doit y en avoir. Tout va bien au moment où vous concluez votre contrat mais votre associé peut se rendre compte qu’il n’a pas la mentalité d’être un travailleur indépendant et préfère retourner vers le salariat ou la fonction publique, vous pouvez tomber gravement malade ou tout autre évènement de la vie personnelle qui fait qu’à un moment, vous n’êtes plus raccords professionnellement.

Cela ne veut pas dire que vous allez vous quitter fâchés, mais simplement qu’il faut trouver la bonne transition afin d’éviter de vous transformer involontairement en dieu hindou à plusieurs bras ou en équilibriste tentant de récupérer des assiettes avant qu’elles ne tombent au sol et se brisent quand la séparation se fait. Il faut une période de transition de plusieurs semaines ou mois mais c’est indispensable, sinon on s’épuise assez vite quand on se retrouve à devoir tout gérer tout seul d’un coup.

Quand nous nous sommes séparés avec Fabien, j’ai rempli mon agenda de tout ce que je faisais heure par heure. Cela m’a permis de me rendre compte qu’en plus de mon travail, j’avais récupéré celui qu’il faisait parce que nous n’avions pas prévu cette période et parce que son nouveau travail a commencé très vite après notre séparation en tant qu’associés. Ce n’est pas un reproche de ma part, cela s’est trouvé ainsi. Je me suis rendu compte que je pouvais bosser sept jours sur sept, quasiment en continu, sans faire attention à ma santé alors qu’elle est primordiale dans mon équilibre de vie. Résultat : au bout de quelques mois à ce rythme, j’ai fait un accident ischémique transitoire, au grand désarroi des différents médecins qui me suivent et qui ont ensuite refusé de croire qu’il s’agissait de cela alors que ce sont eux qui m’en ont parlé les premiers. Mais ils sont dans le déni maintenant.

Ni Fabien, ni mon premier associé ne travaillent dans le même domaine que moi. Cela aurait été le cas, il faut prévoir, selon Franck Debue, une clause de non-concurrence et une clause de non-débauchage de la clientèle, du personnel si vous en avez, et des sous-traitants/fournisseurs, pour éviter que la coquille ne se vide de son contenu quand la dissociation se fait.

Personnellement, depuis le mois de mars où Fabien a quitté la société, je travaille toutes les semaines avec un coach pour faire ce que j’appelle mon « deuil blanc professionnel ». Le deuil blanc est plutôt une expression que l’on emploie quand on est aidant familial d’une personne atteinte de maladie neurodégénérative (ce que je suis par ailleurs pour deux personnes atteintes d’Alzheimer). La personne que vous connaissez n’a petit à petit plus la même présence mentale ou affective que par le passé, mais elle est toujours présente sur le plan physique. Il est difficile alors pour l’aidant de composer avec ses propres émotions. L’être cher n’est plus le même, la relation avec lui non plus. Cela peut mettre votre vie en suspens et il faut parfois se forcer pour ne pas se mettre plus en difficultés parce que la maladie neurodégénérative qui l’atteint, elle, poursuit inexorablement sa route. Cela crée de la confusion. Mais il faut en passer par là. Il faut réinventer du lien, de la communication. Si la personne ne sait plus qui vous êtes, vous savez vous, toujours, qui elle est.

Pour moi un « deuil blanc professionnel », c’est devoir imaginer comment le lien personnel va se poursuivre, s’il se poursuit une fois le lien professionnel cassé, et pouvoir arriver à dire tout ce qui ne se fera plus ou se fera différemment. Avec mon premier associé, on peut se voir dans le cadre de notre travail mais, à part échanger un bonjour, cela s’arrête là. Mettre des mots sur tout ce qui ne se fera plus : les envies professionnelles, les projets, les perspectives. Ou tout simplement, ne plus pouvoir discuter des dossiers ensemble toutes les semaines comme nous le faisions auparavant. Devoir imaginer un avenir différent, qu’il faut réinventer avec d’autres personnes. Se projeter à nouveau, sans lui, qui mène une vie professionnelle désormais autre. Devoir prendre à nouveau tout seul des décisions que l’on prenait à deux. Poser des mots, c’est important.

5/Ne pas faire la distinction entre vie professionnelle et vie privée, surtout si vous travaillez avec votre partenaire. Il y a des horaires de bureau et des horaires « vie de famille ». Il faut réussir à les respecter sinon vous allez parler boulot tout le temps. Et c’est infernal.

Cela me semblait important à dire au moment où une nouvelle vie professionnelle semble se projeter à l’horizon.