Nous allons présenter cet affranchissement chronologiquement afin de bien montrer toutes les difficultés que Hilaire-Almanzy, esclave réunionnais, a eu pour se faire reconnaître Libre de couleur. Il est fort possible, en tout cas c’est une hypothèse à poser, que son propriétaire ait été influencé par le British Way of Live et par les lois régissant l’Angleterre et, de ce fait La Réunion, à l’époque.
14 juin 1811
Une requête est présentée au gouverneur de l’île Bourbon par le sieur BARNAVAL tendant à l’affranchissement de Marie-Séraphine, créole, âgée de 14 ans, de Marie-Eline, créole, âgée de 11 ans, de Hilaire-Almanzy, créole, âgé de 5 ans, et de Marie-Fanny, créole, âgée de 14 mois, donnant à chacun d’eux 10 gaulettes de terre et un esclave, en témoignage de l’affection qu’il leur porte.
29 juin 1811
Une ordonnance accorde la liberté aux quatre esclaves à charge par le sieur BARNAVAL de remplir les conditions portées dans sa requête, selon disposition de la proclamation du 30/04/1811, rendue au nom de Georges III d’Angleterre. Cette ordonnance n’est pas enregistrée dans les registres d’état civil. L’acte est en revanche enregistré au bureau de l’inspection et donné en communication au commissariat civil et de police.
1er juin 1815
Jean Sylvestre Marguerite de BARNAVAL passe son testament olographe, déposé par la suite le 30 août 1815 devant Me Jacques René PERRAUD, notaire de Saint Denis, reconnaissant, après le paiement et la réparation de ses dettes et torts, la liberté à :
1/la nommée Éline, créole, âgée d’environ quatorze ans ; la nommée Marie-Geneviève-Fanny, âgée d’environ six ans, Zélonnie, sa sœur, âgée de 4 ans, et Achille, son frère, âgé de deux ans, tous créoles, leur donnant pour moyens de subsistance et afin qu’ils ne soient point à charge à la colonie, la nommée Marie-Barbe, leur mère, et Armand leur frère, plus dix gaulettes de terre carrée à prendre dans le terrain du testataire à Sainte-Suzanne.
2/le nommé Hilaire-Almanzy, âgé d’environ sept ans, Célicourt son frère, âgé de cinq ans et Marie-Églantine leur sœur, âgée d’un mois, tous trois créoles, leur donnant et léguant pour moyens de subsistance afin qu’ils ne soient point à charge à la colonie, la nommée Elisabeth leur mère, et un terrain de quatorze gaulettes carrées au lieu-dit La Mare, le tout après le décès du testataire.
3/la nommée Séraphine, créole, âgée d’environ dix-sept ans, lui donnant pour moyens de subsistance son fils Adolphe âgé de deux ans et une portion de dix gaulettes de terre, attenant à celui désigné dans le premier article.
4/Enfin que les nommés Edmond et Nicolas obtiennent chacun une carte blanche par devant notaire, leur lègue et donne pour les causes à chacun cinquante piastres.
30 septembre 1816
Le tribunal de Saint Denis rend un jugement homologuant le testament, contradictoirement avec Louise Alexandrine TECHER, veuve d’Edmond Patrice de BARNAVAL, frère de Jean Sylvestre Marguerite. Toutefois, ne trouvant pas dans la succession qu’il laisse des biens suffisants pour leur assurer des moyens de subsistance, il ne l’homologue que pour Éline, Hilaire-Almanzy et Marie-Séraphine. Il n’empêche : jusqu’en 1834, ces derniers seront considérés comme des esclaves. Louise Alexandrine TECHER les a-t-elle seulement prévenus de leur affranchissement ? Si tel avait été le cas, y aurait-il eu un nouveau procès 18 ans plus tard ? Ne peut-on penser qu’ils furent plutôt comme l’avait été Madeleine, mère de Furcy, avant eux, dans un autre contexte, jamais au courant ? N’y a-t-il pas eu duplicité de la part des héritiers de Jean Sylvestre Marguerite de BARNAVAL ?
La monarchie de Juillet est anti-esclavagiste et favorable aux droits des non-Blancs. Voici les mesures prises par elle juste avant le nouveau procès. Le 24 février 1831, Louis-Philippe révoque la législation coloniale qui limite les droits des « gens de couleur », notamment leur capacité d’hériter de biens légués par des Blancs. L’acte du 12 juillet 1832 libéralise les politiques d’affranchissement dans les colonies et conduit, en pratique, à ce que des milliers d’esclaves deviennent libres d’un bout à l’autre de l’empire français. Enfin, la loi du 30 avril 1833 transforme en crime des châtiments corporels excessifs infligés aux esclaves, tels que la mutilation et le marquage au fer.
Marie-Geneviève-Fanny, pourtant affranchie par l’ordonnance Farquhar, reste donc en esclavage. Agée de 22 ans, le 26 octobre 1833, sa fille Marie-Louise, âgée de 2 ans, esclaves d’Auguste MAILLET, prenant le nom de FAMAYN elles sont enfin de nouveau affranchies. Cet affranchissement est noté dans les registres de naissances de Sainte Suzanne le 5 décembre 1833.
5 juin 1834
Une requête d’une vingtaine de pages est présentée par Marie-Séraphine, Marie-Éline, Hilaire-Almanzy, signée par Me BERENGER, avocat au Conseil.
Le 6 septembre 1834, il y a un arrêté avant faire droit.
Le 9 septembre 1834, le tribunal leur accorde un nouveau patron, le sieur BACHE, en remplacement d’Eugène PREVOST de LACROIX, qui présente une nouvelle requête le 17 septembre 1834 par l’intermédiaire de Me BERENGER. L’usage dans la colonie est en effet de nommer un patron à l’esclave qui se prétend libre pour établir les droits qu’il peut avoir à la liberté.
Le 30 septembre 1834, il y a un arrêté de soit-communiqué rendu par le gouverneur de l’île Bourbon.
20 octobre 1834
Les époux François Venant, dit Ramétzy, POIRIER et Marie-Nelly de BARNAVAL, fille d’Edmond Patrice de BARNAVAL et de Louise Alexandrine TECHER, anciens propriétaires des esclaves, présentent un mémoire de défense signé par Me LE SUEUR.
15 décembre 1834
L’affranchissement est confirmé en trois pages par décision du Conseil privé constitué en conseil du contentieux administratif. Ce Conseil privé est constitué par le contre-amiral Jacques-Philippe Cuvillier, gouverneur de la Réunion et présidant ce conseil, Pierre Grelot, sous-commissaire de marine remplaçant l’ordonnateur malade, F. Frémy, directeur de l’Intérieur, Charles-Ogé Barbaroux, procureur général, Marcellin Dejean et Henry Martin-Flacourt, conseillers privés, M. Lambry, conseiller à la cour royale, M. André, conseiller auditeur à la cour royale, M. Trocquet, inspecteur colonial par intérim et M. Voïart, secrétaire archiviste tenant la plume. Il sera transcrit sur les registres de l’état civil de Sainte Suzanne le 24 décembre 1834.
Vingt-trois ans pour être reconnu véritablement affranchi ! L’esclavisation des Libres de couleur, comme ce qu’a connu Hilaire-Almanzy, a été une réalité qu’il semble actuellement compliqué à quantifier, étant donné la dispersion des documents. Ce temps long témoigne surtout d’une farouche volonté de se battre pour faire valoir des droits légitimes et échapper à la condition d’esclave. Comment Hilaire-Almanzy a-t-il pu vivre ces vingt-trois années d’esclavage en trop ? Nul ne le sait. Quelle a été son agentivité, c’est-à-dire sa faculté à agir pour son propre compte ou pour d’autres personnes afin de changer les choses ? Nul ne le sait. Il a été vendu à d’autres maîtres, c’est une certitude. Comment et pourquoi ses nouveaux maîtres ont-ils pris fait et cause pour lui, cherchant pour lui un avocat ? Nul ne le sait. Les documents n’en parlent pas. Il nous faut le supposer. En creux. En espérant ne pas se tromper. Il semblerait qu’il se soit enfin autorisé à fonder une famille même si Orphélie, sa compagne, n’est malheureusement qu’un prénom dans les documents. Elle a été une esclave, vraisemblablement décédée avant l’affranchissement de 1848. Mais qui était son maître ? Comment se sont-ils connus ? Rien à ce jour ne permet de le dire.
L’histoire de l’affranchissement de Hilaire-Almanzy a connu un dernier rebondissement qui, d’une certaine manière, a effacé l’ignominieuse macule servile et lui a permis peut-être de se reconstruire socialement.
10 août 1837
Devant Me François Michel Candide AZEMA, notaire à Saint-Denis, Dafid POIRIER, habitant Saint-Denis, selon procuration à lui donnée par Venant Ramétzy POIRIER, son frère, habitant Sainte-Suzanne suivant sous-seing privé du 20 juillet 1837 et Anicet Ariston DUCASTAING, habitant Sainte-Suzanne, fondé de pouvoir de Hilaire-Almanzy, Marie-Séraphine et Marie-Éline, habitant Sainte-Suzanne, suivant acte en brevet reçu par Me Jean-Philogène COUTURIER, notaire de Sainte-Suzanne, le 21 juillet 1837, et fondé de pouvoir de Marie-Geneviève-Fanny selon acte en brevet reçu par le même notaire le 14 juillet 1837.
Ils ont exposé que par jugement du tribunal de première instance de l’île Bourbon arrondissement du vent du 5 juin 1837 rendu entre les époux Ramétzy POIRIER, Hilaire-Almanzy, Marie-Séraphine, Marie-Éline et Marie-Geneviève-Fanny, affranchis BARNAVAL, les époux POIRIER ont été condamnés à leur livrer une certaine quantité de terre, cinq esclaves, à leur payer les journées de ces esclaves et les revenus des terres à partir du 23 décembre 1834, déterminés et fixés par experts suivant procès-verbal dressé le 29 septembre 1836.
Les époux Ramétzy POIRIER leur cèdent :
1°/un terrain d’habitation situé à Sainte-Suzanne contenant 206 gaulettes de 15 pieds chacune, borné au levant par Joson TECHER, au couchant par Brodeville ALLIER, par le bas du grand chemin et par le haut du sieur LACHAPELLE.
2°/cinq esclaves, savoir : Armand, créole, âgé d’environ 30 ans ; Babet, créole, âgée d’environ 50 ans ; Elisabeth, créole, âgée d’environ 51 ans ; Françoise, créole, âgée d’environ 15 ans ; Elie, créole, âgé d’environ 13 ans.
3°/la somme de 140 piastres 26 centimes pour les revenus des terres, journées d’esclaves calculées jusqu’à ce jour et pour prix du comptant des terres que les époux POIRIER ne peuvent leur délivrer.
Les affranchis BARNAVAL déclarent bien connaître le terrain et les esclaves. Ils pourront en jouir, faire et disposer en toute propriété. Ils donnent main levée et consentent la radiation entière et définitive de toute inscription à leur profit contre les époux Ramétzy POIRIER au bureau des hypothèques de cette île.
Cet acte lui a sans doute permis de sortir de l’esclavage en se construisant une vie. Hilaire-Almanzy en effet devient propriétaire. Il change de ce fait complètement de statut. Peut-être cela lui a-t-il permis, sachant qu’il est en terrain connu avec d’autres familles, de surmonter plus facilement les conditions dans lesquelles il a été détenu en tant qu’esclave, les expériences vécues pendant son asservissement. Les familles l’entourant l’ont vraisemblablement aidé à mettre tous ces évènements vécus dans un contexte. C’est en tout cas ce que l’on aimerait croire.
5 réponses à “Hilaire-Almanzy est affranchi”
le comble c’est quand même en étant affranchi de devenir à son tour maître d’esclaves!!
Bonjour Martine,
Il était affranchi, il avait donc la possibilité d’avoir un esclave à son tour. A l’époque, seules les personnes libres avaient la possibilité de posséder des esclaves. Cela démontrait bien qu’il était libre. Un esclave ne pouvait pas être le maître d’un autre esclave. Il faut se remettre dans le contexte et la mentalité. Actuellement, cela nous choque mais c’était la mentalité de l’époque.
Pas n’importe quel esclave, heureusement ! Le tribunal a choisi de lui donner sa mère. Ainsi, à son tour, il a pu l’affranchir très vite.
Son frère et sa soeur, Célicourt et Marie-Eglantine, ont dû attendre par contre l’abolition définitive de l’esclavage pour être libérés de cela. De même, après l’abolition, il a pu récupérer ses fils qui étaient esclaves dans une autre commune.
Ce qui m’a choqué le plus dans cette histoire, c’est que son propriétaire l’affranchit et qu’il soit remis en esclavage, des années durant, par les héritiers de son ancien propriétaire comme si cet affranchissement n’avait jamais existé. Il vit des années en esclave alors qu’un tribunal a homologué sa liberté. J’avoue que c’est la partie qui chez moi a eu du mal à passer, la raison qui a fait que j’ai décidé de publier son histoire. Parce que, hélas, il n’est pas le seul, dans cette île, à avoir vécu cela. Furcy Madeleine est l’histoire la plus connue médiatiquement mais il en existe malheureusement d’autres.
Merci Stephane
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Amicalement
Malheureusement comme le dit Stéphane ce n’est pas le seul
Je ne pense pas que les affranchis des Antilles aient eu des terrains de leurs anciens maîtres
À voir
Bonjour,
Mon ancien associé est allé passer son voyage de noces en Martinique. Il me disait que la vision de l’esclavage n’était pas du tout la même que celle qu’il avait l’habitude de connaître avec sa famille réunionnaise. Il en avait été très surpris.
Il est descendant d’esclave et son épouse est apparentée à des colons martiniquais. Quand ils ont visité un lieu de l’esclavage bien conservé, dépendant des Jésuites, la guide martiniquaise était choquée, et le terme ne lui semblait pas du tout fort, qu’ils se soient mariés et que cela n’est dérangé personne dans les deux familles. Elle lui disait que ce serait peu probablement arrivé dans la société martiniquaise où il y avait encore une certaine « ségrégation » visible : les centre-ville habités par les descendants d’esclaves, les banlieues avec de plus belles villas par les descendants des colons.
Je ne sais pas si effectivement des esclaves affranchis auraient eu des biens venant de leur propriétaire dans les Antilles. Je ne connais pas suffisamment l’histoire antillaise mais au vu de ce qu’il m’a dit, cela me paraît peu probable.