Connaissez-vous Sir Nicholas Winton ? Courtier en valeurs mobilières, britannique, anobli en 2003 par la Reine, il a organisé le sauvetage de 669 enfants tchécoslovaques, juifs pour la plupart, d’un destin fatal à Prague avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le monde a découvert son travail cinquante ans plus tard. Sa femme a découvert par hasard un album détaillé de ses sauvetages, dans leur grenier. Il contenait des listes d’enfants, y compris les noms de leurs parents, ainsi que les noms et adresses des familles qui les accueillit. En envoyant des lettres à ces adresses, quatre-vingts des « enfants de Winton » furent retrouvés en Grande-Bretagne.

Lors d’un épisode du programme télévisé de la BBC That’s Life, il a été invité en tant que membre du public. À un moment donné, son album a été montré et ses réalisations expliquées. L’animatrice de l’émission, Esther Rantzen, a demandé si certaines personnes dans le public devaient leur vie à ce monsieur et, si c’était le cas, de se lever. Plus de deux douzaines de personnes autour de lui se sont alors levées et l’ont applaudi.

J’aurais pu vous parler en introduction plus modestement de la chanson de Jean-Jacques Goldman « Il changeait la vie ». Une chanson que j’aime beaucoup. Quand je l’écoute, je vois toujours une danseuse classique, en tutu blanc, tourner sur elle-même, seule au milieu de la scène immense d’un opéra vide à peine éclairée, faisant ses pointes, allez savoir pourquoi. Le thème de cette chanson, à mes yeux, est le même que l’action de Sir Nicholas Winton.

Depuis le 20 février que je suis en arrêt maladie, je réfléchis beaucoup. Je ne peux pas travailler alors j’en profite pour lire et réfléchir. Et depuis cette date, il se passe quelque chose dans ma vie dont je suis en train de prendre conscience. Une de mes anciennes étudiantes, de la promotion Charlie, m’en avait parlé mais je ne voulais pas la croire. Et là, j’y suis confronté en plein.

Mes étudiants, tant anciens qu’actuels, pas tous bien sûr, quand ils ont appris mon problème de santé, m’ont envoyé des messages de soutien. Et je m’attendais à tout, sauf à cela de leur part. Cet élan de solidarité, d’empathie, de compassion, oserais-je l’écrire presque d’amour, en tout cas d’amitié. La conversation avec mon étudiante de la promo Charlie, que j’avais gardée dans un coin de mon ordinateur, est alors revenue.

Cette ancienne étudiante m’avait alors dit : « Vous avez sans doute transmis bien plus que ce que vous croyez. Il se joue autre chose dans ce cursus que la généalogie. Je suis quand même stupéfaite que vous ne vous rendiez pas compte de ce que vous pouvez transmettre au-delà des cours. »

Eh bien là, enfin, je m’en rends compte, je leur transmets effectivement autre chose qu’un apprentissage de la généalogie. Je ne sais pas quoi, mais autre chose passe entre eux et moi. Sinon, il n’y aurait pas ce mouvement de leur part à l’annonce de mon arrêt maladie. Une de mes anciennes étudiantes m’a même écrit que je suis en train de poser ma marque sur le monde de la généalogie. Houlà ! On va se calmer ! Je ne suis sans doute pas encore en capacité d’entendre ce genre de phrase de leur part.

Il a fallu que cet arrêt maladie soit présent, se prolonge, pour que j’en prenne conscience. Ce qu’ils me renvoient est extrêmement émouvant. Je ne sais pas complètement ce que je leur ai transmis quand ils ont été mes étudiants mais je sais qu’actuellement, ils me transmettent énormément de force.

Mon étudiante de la promotion Charlie m’avait écrit : « La généalogie c’est particulier. Ceux qui la font en solitaire s’aperçoivent que ce qui peut faire rire leur entourage est aussi une raison d’être pour d’autres, une matière enseignée, reconnue universitairement et cela leur est très bénéfique. »

Selon elle, ma force c’est cette double casquette que je possède : le terrain et l’enseignement, les liens que je peux faire du coup entre les deux. De même une autre force, toujours selon elle, c’est de vouloir aider les futurs professionnels à s’installer. Peu le font vraiment.

Le fait de ne pas baisser les bras : Si on n’y arrive pas d’un côté, je leur dis qu’il faut trouver les pistes pour contourner le problème. Une forte pugnacité. Et quand les gens se plantent, je leur montre une autre voie. Avec diplomatie.

J’arrive aussi à être à l’écoute de tous : ceux qui apprennent, ceux qui savent déjà et ceux qui croient savoir (il y en a aussi) sont mis sur le même tableau, sur le même plan… Selon elle, j’arrive à faire passer tout cela.

Peut-être. Sans doute. Si elle me le dit, je vais lui faire confiance.

En tout cas, merci à eux d’être là pendant cette épreuve physique, de m’accompagner à leur tour. C’est très agréable à recevoir. Et je tenais à le leur dire ici, publiquement.