Viscéralité des archives ? De quoi s’agit-il encore ? En fait, nous avons trois niveaux de traitement de l’information : le niveau viscéral : rapide, il fait des jugements immédiats pour ce qui bon ou mauvais, sûr ou dangereux, envoie les signaux appropriés aux système moteur et alerte le reste du cerveau. C’est biologiquement déterminé. le niveau comportemental : il n’est pas conscient. C’est notre comportement par excellence. vous avez tous fait quelque chose de manière automatique alors que vous pensiez à autre chose. Conduire un voiture alors que vous pensez à autre chose par exemple. Quand vous faites deux choses en même temps, très souvent, l’une des deux se situe au niveau comportemental. Son action peut être modifiée. le niveau réflexif : sans accès direct au niveau sensoriel, le cerveau réfléchit à ce qu’il fait. C’est le lieu des concepts nouveaux. Certes, mais cela ne nous dit toujours pas pourquoi je parle de viscéralité des archives. En fait, ce qui me semble intéressant dans les documents, outre ce qu’il y a à l’intérieur pour ma recherche, c’est leur côté sensoriel. Tous les sens ou presque sont utilisés quand vous avez un document d’archives entre les mains. Le toucher quand vous ouvrez le document et que vous pouvez sentir des textures différentes sous vos doigts. Prenez un vieux document notarié. Vous avez sous les doigts la texture du carton Cauchard qui le protège, du tissu qui ferme ce carton et dont il vous faut défaire les noeuds, de la chemise qui peut le protéger, de la sangle qui peut l’entourer, du parchemin s’il est relié ainsi, des pages en papier tissu. Des textures différentes à chaque fois. Il m’est arrivé de recevoir un document qui n’avait pas été ouvert depuis longtemps. Je pouvais ressentir le froid des magasins sous mes doigts puis le réchauffement du document, très rapide au contact de la salle de lecture. L’ouie bien sûr chaque fois que vous ouvrez un document. Le craquement du carton Cauchard, l’ouverture de la sangle, le bruit du parchemin quand vous déployez enfin le document et que vous vous apprétez à le lire. Des bruits différents. La vue bien évidemment, dès que vous commencez à déchiffrer les pattes de mouche de l’auteur du document. L’odorat car les vieux documents ont une odeur. Elle est subtile et nous devenons alors des Jean-Baptiste Grenouille à la recherche de cette quintessence. Le goût enfin quand nous faisons ce que nous ne devrions pas faire du tout : mouiller le doigt pour tourner les pages. Ce n’est pas bon pour les pages et ce n’est pas bon pour nous, voyez le nom de la rose à ce sujet. Pour moi, aller aux Archives, dans une salle de lecture, c’est aussi pour ces petits plaisirs sensoriels, pas seulement pour découvrir des nouveautés, résoudre des énigmes. Et c’est vrai que je préfère être là-bas que devant un écran d’ordinateur à lire des documents numérisés. Parce que tout cela manque devant un écran. Cela a certes un côté pratique mais ça manque. Des émotions naissent dans le premier cas, différentes de celles devant un écran d’ordinateur. De nombreux petits plaisirs, au niveau viscéral, parce que vous ne commandez pas vos sens.