On a tendance à l’oublier, mais la généalogie est un produit culturel. Elle semble tellement répandue que cela peut nous passer complètement à côté. Et pourtant, en l’analyssant de plus près, elle possède bien les caractéristiques des produits culturels : La complexité : La généalogie est une pratique diversifiée : on parle de généalogie ascendante, descendante, successorale et chacune a des pratiques différentes. On ne consulte pas les mêmes documents. Elle a aussi une faible fonctionnalité. Sa valeur est en effet intrinsèque et réside dans son contenu. Cela ne sert pas à la vie de tous les jours, si vous préférez. Elle est aussi multifacette car exigeant des connaissances particulières et son apprentissage repose sur l’acquisition de codes ou de signes : BMS, NMD, Sosa-Stradonitz… Il faut apprendre un vocabulaire pour pouvoir s’y repérer. L’unicité : Elle n’est pas reproductible à l’identique. C’est ce qui en fait, économiquement parlant, un marché à haut risque. A chaque fois, sans forcément nous en rendre compte, nous mettons en place des innovations dont le résultat est difficile à anticiper. La licence de réutilisation commerciale est par exemple l’innovation du moment. Le symbolisme : Elle ne peut être appréhendée à travers des composantes strictement cognitives. La généalogie exige la prise en compte de notre affect. Il y a du feeling si vous préférez, quelque chose d’indéfinissable qui fait que nous nous intéressons plutôt à une branche, à un ancêtre au détriment de tous les autres. De même, elle requiert un savoir qui n’est pas acccessible immédiatement et facilement. Cela fait aussi partie du symbolisme car cela confère un statut différent entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ou qui apprennent. Les généalogistes investissent aussi des significations symboliques personnelles. On dit souvent que la généalogie sert à réparer une « faute », un manque si vous préférez, et celui de chacun est différent. Pour quelles raisons avez-vous choisi ce loisir ? Même question pour moi en tant que professionnel : pourquoi ce métier ? Enfin, elle est en interdépendance avec le capital économique, culturel et social de chacun. Regardez ce que vous consacrez à la généalogie de ce côté-là et ce que peut y consacrer votre voisin généalogiste. Vous verrez la différence. L’hédonisme et l’esthétisme : Cela peut vous surprendre mais vous l’appréciez principalement pour elle-même, pour le plaisir qu’elle vous procure. J’ai rarement vu en salle de lecture des gens avec la mine renfrognée. Ils sont plutôt souriants, avenants, prompts à créer du lien social. Une temporalité particulière : Vous le savez, la généalogie est chronophage, autant dans sa production que dans sa « consommation » (la consommation peut être par exemple le temps que vous passez à surfer sur le Net). En tant que loisir, elle existe depuis un peu plus de 30 ans. On espère tous qu’elle va être atemporelle, que ce mouvement va durer « jusqu’à la fin des temps » et que nous allons laisser une trace pour la même durée. Ne me dites pas que vous n’y avez pas pensé, ne serait-ce qu’une seconde, je ne vous croirais pas. Et en plus, nous ne sommes pas fidèles, même si nous nous sommes abonnés à un site. Simplement parce que nous espérons toujours y voir des produits nouveaux. La fidélité existe mais à l’institution. Du coup, il peut y avoir un phénomène de marchandisation amplifié par nos cyber-habitudes qui demandent une profusion de nouveautés tout le temps. Cela implique une augmentation de l’offre. Et même si nous râlons contre certaines sociétés commerciales, elles ne font que nous répondre en mettant en place une stratégie de portefeuille (quelques grands succès pour compenser de nombreux échecs). Un produit culturel, je vous dis. Nous nous en doutions, mais c’est parfois mieux de savoir pourquoi.