Au cours d’une conversation avec un confrère successoral, je l’entends dire que, pour lui, le généalogiste familial appartient à la masse « grand public » des lecteurs des Archives Départementales alors que le successoral est un lecteur plus « privilégié ». Est-ce vraiment le cas ?

C’est une manière de voir qui m’a interpellé. Si j’ai bien compris son point de vue, nous étions assimilables aux autres lecteurs généalogistes et peu nous distinguaient d’eux. Je ne sais si c’est une méconnaissance du travail du familial mais cela m’a interpellé.

J’ai regardé si le travail que j’effectuais au quotidien pouvait être divisé en blocs. A priori, je vois cinq blocs :

Tout d’abord, il y a les « recherches classiques » pour les clients. Il s’agit de remonter l’arbre d’un client, que ce soit par le biais de l’état civil ou d’autres documents comme les documents notariés, les recensements, les listes électorales, les déclarations de succession, le cadastre, les hypothèques, les documents militaires. Et tout autre document qui peut être utile à la recherche de cet arbre. Le client vient nous voir parce qu’il est bloqué et nous demande de le débloquer ou de faire son arbre généalogique en entier. Notre recherche peut aller du XVIe au XXe siècle.

Proche de ces recherches classiques, il peut y avoir des demandes en paléographie. Le client n’arrive pas à lire le document et nous demande de le lui déchiffrer à sa place.

Il y a ensuite ce que j’appelle les « recherches modernes« . La différence ? Nous pouvons utiliser des techniques autres pour retrouver des personnes comme par exemple la généalogie génétique récréative, même si elle est toujours officiellement interdite en France.

Quatrième bloc : les demandes effectuées par des institutions (musées, services des Archives,..). A un moment, ces institutions font appel à nos compétences particulières, qu’elles n’ont pas forcément en interne, pour les aider à chercher un point précis.

Enfin, il y a toutes les recherches qui vont aboutir à des articles pour des revues scientifiques ou à des documentaires. Le public est souvent un public de spécialistes. Il faut alors être très rigoureux dans notre rendu.

Et je mets à part bien sûr les formations qui peuvent nous être demandées. Il forme un sixième bloc, hors de la recherche.

Pour toutes ces recherches, je ne crois pas que nous soyons un public ordinaire. Nous nous devons, tout comme un archiviste quand il classe un fonds, devenir des spécialistes sur des points historiques précis. Actuellement, par exemple, je travaille sur une famille qui a des origines dans l’esclavage. Je me dois de connaître a minima le Code Noir, d’avoir des connaissances en anthroponymie pour comprendre pourquoi une mère, sa fille née de père inconnu, et sa petite-fille, née aussi de père inconnu, ne portent pas le même nom mais trois noms différents. Parce que lors de leurs affranchissements, qui ont eu lieu à des dates différentes, par des maîtres différents, des noms différents leur ont été attribués sans tenir compte des liens de famille entre elles. Et il me faut suffisamment le comprendre pour pouvoir ensuite facilement l’expliquer.

Notre formation se doit du coup d’être forcément éclectique. Et nous nous devons de nous former en permanence en fonction des demandes qui viennent vers nous. Ce n’est pas qu’une mise à jour. Nous nous devons d’avoir de la curiosité intellectuelle en permanence. Parce que nous n’avons pas le choix si nous voulons être des professionnels aguerris. Pour moi, en tant que professionnel, je ne suis pas un public « ordinaire » des Archives. Je suis hors du « grand public ». Parce que je suis un professionnel.