Souvent, dans les hypothèques, nous ne cherchons que les transcriptions. Lors de son stage chez moi, Fabien a aussi lu les inscriptions. Et il a découvert ainsi une drôle d’histoire.

 

Le 2 septembre 1784, devant Me Gaugiran, notaire de Cordes, Jean-Baptiste Fricou baille en locaterie perpétuelle de 9 en 9 ans et de 29 en 29 ans à Jean Delautre, brassier, habitant Cordes, son entier domaine de Mongrieu, assis partie dans la paroisse de Cordes et partie dans la paroisse de Bournazel, tel qu’il l’a acquis ce jour de Jean Miquel, avocat, sous la rente annuelle, perpétuelle et indivise de 6 setiers blé froment beau, net et marchand à la Saint Julien d’août, de 2 paires de poules le 1er janvier et autant le 1er août. Pour tout droit d’entrée, ledit Delautre relaxe audit Fricou une pièce de vigne au terroir du camp de Terrier paroisse des Sarmazes valant 600 livres. Dans ce bail est compris une paire de vaches valant 120 livres.

 

Un bail à locaterie perpétuelle ? De quoi s’agit-il ? L’encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers nous dit que cela signifie en général tout contrat qui est fait pour perpétuelle demeure, et non pour un temps seulement. Il y avait chez les Romains une espèce particulière de contrat appelé perpétuel qui était un bail à location perpétuel. Au commencement ce contrat est différent de l’emphytéose, parce que celle-ci est alors seulement à temps ; mais depuis que l’on a admis l’emphytéose perpétuelle, il n’y a plus de différence entre cette sorte d’emphytéose et le contrat perpétuel, ou de location perpétuelle. L’emphytéose, est un contrat par lequel le propriétaire d’un héritage en cède à quelqu’un la jouissance pour un temps, ou même à perpétuité, à la charge d’une redevance annuelle que le bailleur réserve sur cet héritage, pour marque de son domaine direct. Ce contrat n’a lieu que pour des héritages, et non pour des meubles, ni même pour des immeubles fictifs. Ces sortes de contrats ne se pratiquaient que pour des terres que l’on donnait à défricher. On peut aussi donner à titre d’emphytéose une maison en ruine, à la charge de la réparer.

 

Son usage nous vient des Romains, chez lesquels cela ne donnait d’abord au preneur qu’une jouissance à temps, 99 ans au plus; quelquefois pour la vie du preneur seulement; quelquefois aussi pour plusieurs générations, mais toujours pour un temps.

Dans les pays de droit écrit, l’emphytéose, faite par le seigneur de l’héritage, a le même effet que le bail à cens en pays coutumier; si elle est faite par le simple propriétaire de l’héritage, y est ordinairement confondue avec le bail à rente. La redevance que l’on stipule dans ces sortes de contrats en pays de droit écrit, est ordinairement appelée « canon emphytéotique ». Les lois décident que faute par l’emphytéote de payer ce canon ou redevance pendant trois ans, il peut être évincé par le preneur. On appelle cela « tomber en commise ». Il existe une autre commise emphytéotique, quand le preneur vend l’héritage sans le consentement du bailleur.

A l’occasion de la commise qui a lieu en cas de vente, l’emphytéote peut vendre quand bon lui semble, sans être tenu de faire aucune dénonciation; que le seigneur a seulement le droit de retirer le fonds vendu, en remboursant le prix à l’acquéreur. S’il ne veut pas user de ce droit de prélation, il ne peutexiger que la cinquantième partie du prix de la vente pour l’investiture du nouvel acquéreur. Toutes les coutumes du royaume se sont bien conformées à la disposition du droit, en ce qu’elles permettent toutes au seigneur d’exiger un droit à chaque mutation qui se fait par vente.

 

Bref, tout ceci nous permet de comprendre que Jean Delautre n’est pas le propriétaire de Mongrieu. Et pourtant…

 

Une recherche des inscriptions d’hypothèques de Jean Delautre, alors qu’il habite Mongrieu, commune de Bournazel nous donne les informations suivantes. Chaque inscription nous dit au profit de quelle personne elles sont faites, le montant de la créance, par rapport à quel acte notarié et sur quel bien immeuble :

  • Le 25 brumaire an 9, au profit de Jean Gayral, cultivateur, habitant Labarthe commune de Bleys, pour sûreté de créance de la somme de 145 F dont 110 F de principal résultant d’un acte public du 29 messidor an 8 devant Me Martin, notaire à Cordes, sur la métairie de Mongrieu et sur une pièce de terre sise à Loudes.
  • Le 23 fructidor an 12, au profit d’Antoine Combes, propriétaire, habitant Vindrac, pour sûreté de créance de la somme de 295 F dont 216 F de principal résultant d’un acte d’obligation du 10 messidor an 12 devant Me Higon, notaire de Cordes, sur tous les biens situés dans l’étendue de la commune de Bournazel dont la métairie de Mongrieu.
  • Le 6 vendémiaire an 13, au profit de Louis Lagriffoul, cultivateur, habitant La Crouzié commune de Saint-Marcel, pour sûreté de créance de la somme de 400 F dont 324 F de principal résultant d’un acte du 24 thermidor an 12 devant Me Molinier, notaire à Laguépie sur le corps de domaine situé au hameau de Mongrieu.
  • Le 26 vendémiaire an 14, au profit de Marc-Antoine Marty, habitant La Prédinié commune de Saint Martin-Laguépie, pour sûreté de créance de la somme de 570 F dont 360 F de principal résultant d’un jugement du 30 floréal an 13 rendu par le tribunal civil de Gaillac et d’un acte d’obligation du 6 brumaire an 12 devant Me Higon, notaire à Cordes, sur le corps de domaine appelé Mongrieu qu’il possède commune de Bournazel.
  • Le 9 nivôse an 14, au profit de Louis Lagriffoul, cultivateur, habitant La Crouzié commune de Saint-Marcel, pour sûreté de créance de la somme de 200 F dont 150 F de principal résultant d’un acte du 22 vendémiaire an 14 devant Me Molinier, notaire à Laguépie, sur le corps de domaine de Mongrieu.
  • Le 4 décembre 1806, au profit de Pierre Mercadier, avoué, habitant Gaillac, pour sûreté de créance de la somme de 116 F dont 66 F de principal résultant d’un acte d’obligation du 29 vendémiaire an 13 reçu par Me Higon, notaire de Cordes, sur le domaine situé à Mongrieu.
  • Le 4 décembre 1806, au profit de Jacques Laberge, huissier, habitant Cordes, pour sûreté de créance de la somme de 102,60 F dont 75,60 F de principal résultant d’un acte du 9 floréal an 10 reçu par Me Higon, notaire d’Itzac, sur le domaine situé à Mongrieu
  • Le 12 décembre 1806, au profit de Gervais Mercadier, propriétaire, habitant Lavaysse commune du Ségur, pour sûreté de créance de la somme de 327 F dont 180 F de principal résultant d’un acte du 7 brumaire an 14 reçu par Me Cardonnel sur le domaine situé à Mongrieu
  • Le 3 janvier 1807, au profit d’Antoine Combes, propriétaire, habitant Vindrac, pour sûreté de créance de la somme de 370 F dont 216 F de principal résultant d’un acte du 10 messidor an 12 reçu par Me Higon, notaire de Cordes, et d’un jugement du 4 décembre 1806 rendu par le tribunal civil de Gaillac sur le domaine situé à Mongrieu. Le jugement donne un défaut-congé à Jean Delautre au motif que le demandeur, Antoine Combes, n’est pas comparu, selon une ordonnance de 1667.
  • Le 9 janvier 1807, au profit d’Antoine Gasquet, tisserand, habitant Cordes, pour sûreté de créance de la somme de 430, 10 F savoir celle de 286, 80 F en principal payable et payée par ledit Gasquet à Pierre Ginestous, aubergiste, habitant Laguépie, 154, 60 F le 18 thermidor an 8 et celle de 138, 20 F le 5 nivôse an 9 avec intérêt à compter du 4 thermidor an 13 et celle de 93, 30 F pour intérêts depuis le 4 thermidor an 8 jusqu’au 23 janvier 1807 résultant d’un acte passé devant Me Molinier le 4 thermidor an 8 sur le domaine situé à Mongrieu.
  • Le 9 janvier 1807, au profit d’Antoine Gasquet, tisserand, habitant Cordes, pour sûreté de créance de la somme de 285 F dont 200 F de principal résultant d’un acte du 12 frimaire an 8 reçu par Me Higon, notaire d’Itzac, sur le domaine situé à Mongrieu

 

Visiblement, alors que Mongrieu ne lui appartient pas, inscrire des hypothèques dessus les unes après les autres en très peu d’années ne lui pose aucun problème. Et je ne parle pas des hypothèques inscrites sur tous les biens qu’il possède sur l’ensemble du bureau des hypothèques de Gaillac (dont dépend Bournazel). Que pouvait en penser Jean-Baptiste Fricou ?

 

Enfin, cerise sur le gâteau, une petite dernière inscription hypothécaire pour la route… Le 4 février 1807, au profit de Pierre Laville, habitant Anzac commune de Cahuzac sur Vère, pour sûreté de créance de la somme de 2461, 73 F dont 2000 F de principal résultant d’un jugement du 17 janvier 1807 rendu par le tribunal correctionnel de Gaillac sur tous les biens qu’il possède sur l’étendue du bureau des hypothèques de Gaillac. Ce jugement nous dit qu’il y a eu une première audience le 10 janvier repoussée en l’absence de Me Rivenc, notaire à Cordes, condamné de ce fait à 10 F d’amende. La deuxième audience du 17 janvier 1807 déclare ledit Delautre dit Leroy, un des prévenus, coupable et convaincu d’avoir dans les premiers mois de l’an 14 et dans le cours de l’an 1806 à l’aide d’un crédit imaginaire abusé de la crédulité dudit Laville et de lui avoir escroqué à diverses reprises plusieurs sommes revenant en total à la somme de 2000 F en lui donnant l’espérance de soustraire son fils à la conscription et de lui procurer une fortune prompte et sûre. Le jugement déclare ledit Peyrozet coupable et convaincu d’être le complice de cette escroquerie en fabriquant moyennant la promesse de Delautre de lui prêter la somme de 100 F une fausse lettre dudit Laville fils à son père pour l’exciter à la confiance envers Delautre et pour faciliter la remise des sommes que ce dernier escroquait. Le tribunal condamne ledit Delautre à rendre et restituer audit Laville la somme de 2000 F à lui escroquée et le condamne aussi à une somme de 5000 F d’amende envers le Trésor Public et à être détenu dans la maison de correction pendant 2 ans.

Ce qui explique pourquoi en 1810, il est dit absent depuis environ 3 ans dans le CM de sa fille Catherine avec Pierre Vernhes. Il ne semble pas encore être sorti des geôles de Gaillac ou d’Albi. Les registres d’écrou de ces deux prisons commencent, hélas, plus tard.

Jean Delautre, cultivateur, est décédé le 28 octobre 1818 à Cordes ab intestat. Lors de sa déclaration de mutation par décès en date du 29 avril 1822, ses enfants Pierre, cultivateur à Bournazel et Catherine lui succèdent. Sa succession s’élève alors à onze francs.