Avec  les propositions de Geneanet d’indexation de documents pour pallier aux manques de l’état civil parisien, comme ils l’ont mentionné dans leur blog, je me suis interrogé sur la question du numérique dans le domaine de la généalogie. Le numérique est-il une révolution ? Un instrument permettant de créer des richesses culturelles disponibles pour tous et permettant à tous d’y accéder de fait ?

 

Si j’en crois Damien Malinas, de l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse, la démocratisation culturelle ne s’est pas dissoute à l’aune de l’individu et de ses pratiques numériques censées le condamner à son canapé et à ses pratiques domestiques. Mais alors pas du tout ! Le numérique ne se voit pas. Par contre, nous ressentons tous les actions qu’il produit. Si vous voulez une image, le numérique c’est un vent. Personne ne peut le toucher mais tout le monde ressent ses effets.

 

Par le biais du numérique sont créés de nouveaux espaces dans lesquels de nouvelles expressions s’inventent. C’est enfoncer une porte ouverte que de dire que la généalogie s’est modifiée depuis l’apparition des archives en ligne et ensuite des réseaux sociaux.  Mais en fait que faisons-nous quand nous sommes sur un réseau social à parler de généalogie, à demander de l’aide ou à en apporter à un novice ? Est-ce que nous ne mettons pas en oeuvre de nouveaux modes d’expression, différents de celui qui existe quand nous appartenons à une association de généalogie par exemple ? Il semblerait que oui. Simplement parce que, contrairement à une association où seuls les membres peuvent bénéficier de notre expertise, par le biais d’un réseau social nous l’offrons à tout un chacun.

 

Les Archives en ligne ont rendu poreuse la frontière entre l’espace public et l’espace privé. Avant je me déplaçais en salle de lecture. Là, la salle de lecture (pour les documents numérisés en tout cas et mis en ligne) se déplace à moi. Au point que parfois nous pouvons croire que tout est numérique. Qu’il est anormal que tel document ne le soit pas.  Parce que nous avons très vite pris cette habitude. Le document vient à moi. Nous ne sommes plus dans la culture de la société savante mais en pleine démocratisation. Nous ne sommes plus dans les salles feutrées et silencieuses où il est interdit de manger. On peut désormais faire de la recherche généalogique sa boisson à côté de l’ordinateur, la musique à fond dans les oreilles si on en a envie. C’est le document qui se déplace.

 

Quand nous sommes sur un réseau social à parler généalogie, quand nous participons à un projet collectif d’indexation de documents numérisés, nous devenons des producteurs d’expérience.  L’espace numérique devient notre lieu d’expérience.  On parle alors de culture par l’écran avec trois niveaux :

1/ Enclenchement de l’expertise : c’est la détermination du choix. Je vais participer à 1J1P plutôt que d’indexer les archives numérisées de tel département ou que de photographier les tombes des cimetières.

2/Mise en oeuvre de l’expertise : On se capte soi-même pour témoigner de sa participation. A l’extrême, on pourrait réaliser un selfie de soi en train d’indexer et en montrant la page en cours d’indexation, on pourrait réaliser un selfie de soi dans un cimetière pendant qu’on photographie les tombes. Je n’en ai pas encore vu mais ce serait possible.  En tout cas, d’une manière ou d’une autre, on l’annonce au monde.

3/Revendication de l’expertise aboutie : on fabrique son jugement, on écrit une histoire commune. J’ai indexé 10 000 fiches ! Je peux transmettre aux nouveaux à partir de ma propre expérience, via un forum par exemple. Mon expérience est authentifiée. J’en suis !

 

Pierre Nora parle d’avènement de la mémoire. Il y a partout un profond changement du rapport traditionnel entretenu avec le passé. En lieu et place de l’identité nationale, il y a selon lui avènement de multiples identités sociales. Et c’est beaucoup plus intéressant.