C’est le titre donné par ma consoeur Christine Lescène dans son article du 1er février. J’ai rajouté le point d’interrogation car je ne suis pas sûr que ce soit tant la jungle que cela. Elle a des réflexions intéressantes : ceux qui exercent ce métier à temps plein ont un tarif plus élevé que ceux qui le font à titre accessoire. La variation des tarifs serait plus compréhensible si chaque généalogiste, sur son site, expliquait son livrable à ses futurs clients : pour ce prix, vous allez avoir…..

Et si on commençait par quelques définitions ?

 

1/la jungle :

 

Le mot « jungle » provient d’un mot sanskrit जङ्गल (jaṅgala) qui désigne les espaces naturels sauvages,  une formation végétale sèche comptant une proportion irrégulière d’arbres présente principalement dans le Terraï. Le succès du livre de Rudyard Kipling a popularisé ce terme qui permet de nommer désormais une forêt dense à la végétation verte et luxuriante, telle que la forêt tropicale humide. Dans beaucoup de langues du sous-continent indien, ce mot est généralement utilisé pour décrire tout espace de terre sauvage, non cultivée ou non mise en valeur, tant forêts que déserts.
En Occident, symboliquement, la jungle est le mélange des connotations négatives :

  • de notre forêt (celle du loup, celle qui fait peur  car génératrice à la fois d’angoisse et de sérénité, d’oppression et de sympathie, une puissante et ambivalente manifestation de la vie, liant la terre et le ciel),
  • des aspects négatifs de l’exotisme (inconnu et sauvage)
  • et des lieux chauds et humides (miasmes et vermine, symboles de la transition de la mort à la vie, une sorte d’Ouroboros). La face cachée et sombre d’un Orient lumineux et spirituel. L’ailleurs qui fait peur.

La jungle est ainsi l’incarnation de l’inhumanité invivable. La loi de la jungle est de ce fait une forme de chaos.  La généalogie serait, pour ses tarifs, cet ailleurs effroyable ou effrayant, paralysant le futur client, perdu au milieu de différents prix volant autour de lui tels des Euménides vengeresses, sans repère ni boussole. Abandonné de tous.

 

Vraiment ? Mais qu’en est-il du tarif ?

 

2/le tarif :

Le tarif c’est le tableau des prix d’une prestation. Familièrement, c’est la sanction, la punition après avoir commis un acte répréhensible. Nous voilà bien. Laissons tomber la définition familière et regardons le côté économique : le prix.

Le prix se définit comme la valeur d’un bien ou d’un service, exprimé généralement en unité monétaire, qu’un individu est disposé à débourser en contrepartie de la cession de ce bien ou service. Il est ainsi le reflet de l’équilibre entre l’offre et la demande. Sa fixation  est liée à la rareté, à la disponibilité et à la demande. Plus un bien est rare, plus son prix est élevé et inversement. Il existe différentes sortes de prix : le prix d’achat, le prix de vente, le coût de revient et le prix de cession.

La valeur d’un bien ou d’un service. Mais la valeur c’est quoi ? Cela se mesure ? Et là, petite complication : vision objective ou vision subjective ? Vous prenez laquelle ?

Du côté de la vision objective, nous avons tout d’abord les économistes Adam Smith et David Ricardo. Ils distinguent la valeur d’échange de la valeur d’usage et considèrent que c’est la première qui, en économie, joue un rôle déterminant. Pour eux. le travail joue un rôle essentiel dans la détermination de la valeur d’un bien.
Karl Marx reprend l’idée de la valeur-travail développé par Ricardo: la valeur d’un bien dépend de la quantité de travail direct et indirect nécessaire à sa fabrication. Marx part du principe que le travail est à l’origine de toute valeur. Pour lui, les salaires ne représentent pas la valeur du travail mais la location de la force de travail du salarié. De la valeur nouvellement créée, le salaire du travailleur ne représente que la part nécessaire à sa propre survie, le reste constituant la plus value  créée par son travail.
Du côté de la vision subjective, c’est le concept d’utilité, attribuant à chaque personne des goûts et des besoins différents, qui a la faveur de la grande majorité des économistes contemporains. La valeur est alors définie comme étant la mesure du désir qu’un agent économique éprouve pour un bien ou un service. C’est alors une appréciation  non mesurable, liée aux préférences de la personne compte tenu de sa situation actuelle.
André Orléan nous fait remarquer que la valeur économique peut résulter d’un sentiment collectif. Le mimétisme joue dans la détermination de la valeur d’un bien lorsqu’il est représentatif de prestige et de statut social.  Par exemple les phénomènes de mode. L’utilité est alors fonction du comportement des autres. Les pratiques du marketing et de la publicité témoignent  de l’importance de cette motivation mimétique.

Actuellement, nous sommes beaucoup plus dans la vision subjective qu’objective. Alors posons-nous la question : La généalogie est-elle utile à la personne ? Quel est la valeur du désir généalogique ? On parle de virus mais combien est-on prêt à le payer ? Que vaut le travail d’un généalogiste ?

C’est là qu’intervient à mon sens la question de la compétence et de la longévité dans le métier . Si le futur client connaît parfaitement le parcours du généalogiste auquel il veut faire appel, qu’il trouve celui-ci de manière explicite sur son site, il peut savoir pourquoi il paie différemment quelqu’un qui a un doctorat en histoire et de l’expérience d’un « simple » passionné qui n’a que 30 ans d’expérience. Par exemple. Cela ne veut pas forcément dire que l’un est plus compétent que l’autre, mais que dans le tarif du premier, le coût de ses études est répercuté.  La compétence peut aussi se mesurer.

C’est là qu’intervient aussi la question du temps. Si on fait payer à notre client une journée de recherche mais que dans ce tarif, nous comptons le temps passé aux Archives ET celui sur les photos ET celui de l’analyse des documents ET celui de la transcription ET celui nécessaire à la mise en forme, le tarif annoncé est-il suffisant ? Christine Lescène nous dit que cette journée de recherche c’est tout ce temps-là, c’est-à-dire deux à trois jours de travail en fait. ERREUR ! Une journée de recherche, c’est une journée de recherche. Donc le temps passé aux Archives à chercher. Tout le reste, c’est du temps EN PLUS qui doit être comptabilisé d’une manière ou d’une autre pour ne pas travailler à perte. Soit en augmentant le tarif horaire, ou du forfait, soit en prévenant le client qu’une journée de recherche ce sont derrière deux jours de travail intellectuel et que ce temps n’est ni gratuit ni bénévole. Et que donc une journée de recherche, il faut qu’il sache que ce seront deux jours minimum facturés. Où vous avez vu qu’un travail de trois jours est payé un ? Dans quelle profession ? Vous imaginez la tête d’un salarié à qui l’on dit : « Monsieur, vous avez travaillé 30 jours. OK, donc je vous en paie 10 et le reste c’est pour la gloire !  »

C’est une réflexion que l’ensemble de la profession doit donc mener de concert. Une grille tarifaire vraie, véritable, pourrait ainsi  être mise en place au niveau national. Nous en sommes loin pour le moment.