La France Méridionale a un héritage inégalitaire. Le plus cohérent à première vue puisqu’il concilie nécessité de transmettre un bien entre les générations et maintien du patrimoine familial intact afin que les exploitations soient viables. Selon la règle de droit romain appliquée normalement que sous l’Ancien Régime (mais qui a perduré ensuite, le Code civil n’ayant pas changé grand chose dans les faits) un seul des enfants est désigné comme héritier. Il reçoit la totalité du patrimoine, l’oustal ou oustau suivant les régions : une maison, des champs, une part dans les droits d’accès aux pâturages. Il vit avec les parents qui lui accordent soit par contrat de mariage soit par testament cet héritage. Les parents gardent toutefois l’usufruit leur vie durant d’une partie et prévoient le cas éventuel de séparation avec leur héritier désigné. Les cadets reçoivent une dot : un peu d’argent versé en plusieurs fois, des draps (toujours désignés sous le nom occitan de « linceuls »), un lit garni de couette et coussin remplis de plumes, une nappe, des serviettes, un coffre fermant à clé (la caisse) ou une armoire (le cabinet), des animaux. Les femmes reçoivent en plus des robes dont une noire (la robe de mariage). Dans certaines régions, comme la frontière entre le Tarn et la Haute-Garonne, dans le Vaurais, les parents de la fiancée donnent en plus ce qu’ils appellent des aides à la noce, c’est-à-dire des aliments. A chaque maison est attaché un nom qui vient se substituer au patronyme du couple qui l’occupe et un certain prestige social à défendre. A chaque maison est attaché un nom. Apportons quelques nuances car en fait en plus du droit écrit romain, socle de l’Occitanie en ce domaine, nous trouvons des coutumes différentes selon les régions. Dans les Baronnies pyrénéennes, tout individu est désigné par le nom de la maison dans laquelle il vit et ce nom est attaché à la maison sans considération pour les liens de parenté unissant les occupants successifs. C’est le système à maison le plus pur. Dans les Pyrénées Atlantiques un homme qui entre en gendre chez une héritière perd le droit de transmettre son nom. Ses enfants porteront celui de sa femme. J’ai étudié par exemple une famille Betbeder sur la commune d’Ogenne. En 1674, l’héritière de la famille Betbeder, prénommée Marie, épouse Jean Supervielle. Leurs enfants portent le nom de Betbeder. Leur fille Catherine, héritière à son tour, épouse en 1690 Bernard Labricq. A nouveau, les enfants de ce couple sont des Betbeder, pas des Labricq. S’ils existent plusieurs familles Betbeder dans le village, ce qui est le cas à Ogenne, on les distingue par un surnom : Betbeder Gouzenne, Betbeder Candau. Le surnom pouvant être alors le nom de la maison où la branche habite. Dans le Quercy, l’homme qui venait en gendre voyait ses enfants porter en plus un surnom dérivé du patronyme de leur mère ou même de son surnom. Par exemple les enfants d’une héritière nommée Sembel épouse Bach peuvent s’appeler Bach Sembelat ou Bach Sembelou. Une demoiselle Couderc dite Clarou, car son père habitait un lieu habité Saint-Clair, peut transmettre ce surnom à ses enfants. Mais s’il était héritier, les branches pouvaient se distinguer par le prénom de l’ancêtre fondateur. Entre autres exemples. Toutefois, mes recherches dans différents départements de Midi-Pyrénées, depuis des années, le dépouillement de notaires m’ont posé desquestions au fil du temps. Car, en fait, pour une personne déterminée, on peut dire qu’elle porte trois noms : son prénom, son nom de famille et le surnom qui lui est attaché. Or là aussi, il me semble que nous sommes en plein dans le droit romain. Le nom complet d’un romain en effet se compose d’un prénom (le praenomen), d’un nom (le nomen) suivis d’un surnom (le cognomen). Aurions-nous de ce fait, sous une autre forme, la réminiscence des gentes romaines ? Une gens est un groupe familial patrilinéaire portant le même nom. Si elle est nombreuse, la gens s’est divisée au cours du temps en diverses branches se distinguant par un cognomen différent. C’est bien le cas, il me semble, pour nos noms d’oustal. Les premiers surnoms romains ont pour origine un trait physique ou un lieu géographique. Cela peut être peu flatteur s’il s’agit d’un trait de caractère. Ce sont les mêmes origines pour nos surnoms d’oustal. Et pour tous les surnoms d’ailleurs, la règle n’est pas propre à l’Occitanie. Et si nos surnoms d’oustal venaient directement de cet héritage ? Je ne suis pas sûr que les ethnologues se soient posé cette question. Je n’ai rien trouvé dans la littérature à ce sujet. De même, je n’ai rien lu dans la littérature généalogique. Une question à creuser sans doute, un nouvel espace de recherche peut-être.