Il est rare que je fasse un sujet qui soit vraiment d’actualité. Cette fois-ci j’ai pris le risque. L’adoption de la loi sur le mariage pour tous apportant de nombreuses modifications, les revendications des opposants m’agaçant profondément, sans doute à cause de ma formation universitaire en ethnologie de la famille et en sociologie, je suis donc allé chercher du côté des sociologues et des ethnologues ce qui se disait. Et en m’impliquant dans cette bataille peut-être beaucoup plus que d’autres fois. Du coup mes écrits peuvent déplaire, je préfère prévenir même si j’ai essayé d’être le plus neutre possible. Mais l’est-on vraiment ? Filiation et parentalité homosexuelle : Tout d’abord, la filiation est avant tout un lien juridique par lequel est définie l’appartenance de l’individu à un groupe de parents et auquel sont associé un ensemble de droits (transmission du nom, succession et héritage), de devoirs (obligation d’entretien réciproque) et d’interdits (prohibition de l’inceste). Notre système de filiation se rapproche le plus possible de l’engendrement. Mais c’est un choix culturel accompagné d’une norme qu’est l’exclusivité. Chacun de nous n’est en position de fils ou de fille que par rapport aux individus qui l’auraient en principe conjointement engendré et ne peut avoir qu’un seul père et qu’une seule mère, d’une génération ascendante (et de sexe différent jusqu’à l’adoption de la loi concernant le mariage pour tous qui modifie cela). Le désir d’enfant n’est pas lié à l’orientation sexuelle. De ce fait, environ 20000 enfants vivent en 2006 dans un foyer constitué d’un couple de concubins de même sexe. La majorité se trouvant dans des situations juridiques problématiques du point de vue de leur filiation. Si le parent décède, si le couple se sépare, qu’advient-il de l’enfant ? Le compagnon ou la compagne n’a en effet aucun lien juridique avec l’enfant qu’il contribue à éduquer. Les familles homoparentales sont par définition pluriparentales : elles mettent en jeu plus de deux adultes dans le processus de formation d’une famille, dont des parents « sociaux ». C’est le cas aussi, soit dit en passant, dans les familles hétérosexuelles recomposées. Le mythe du « bon parent » Être parent est associé à un univers de compétences et d’apprentissages. La parentalité « défaillante » est devenue l’objet de toutes les attentions. Le sociologue américain Howard Becker a, de ce fait, parlé de « nouveaux entrepreneurs de la morale familiale » car il y a, selon lui, des producteurs de normes familiales. Mais qui les applique ? Comment sont-elles reçues et mises en pratique par les familles ? L’enfant est devenu un « bien précieux ». Tout serait mis en œuvre pour préserver l’enfance, devenue une période idéalisée. Il faut la protéger non seulement d’éventuels dangers mais aussi anticiper les risques, notamment « psychologiques », qui pourraient compromettre son vécu. Sous l’impulsion des discours psychanalytiques, le bien-être de l’enfant est désormais considéré de façon quasi-exclusive entre les mains de sa mère. Rappelons qu’il est difficile pour les hommes gays de devenir père, en dehors de l’adoption et de la coparentalité. L’homme « célibataire » est, en plus, imaginé comme frappé d’une incapacité congénitale à s’occuper d’un enfant. Quand on ne craint pas purement et simplement la pédophilie de sa part. Toutefois … La lutte juridique contre les discriminations à l’égard des homosexuels a contribué à transformer leurs conditions de vie. Ils sont passés pour la majorité d’entre eux d’une culture de ghetto et de contestation de l’ordre familial traditionnel à une plus grande aspiration pour la vie conjugale. Mais est-il vraiment possible d’identifier le niveau d’aptitude de chaque parent dans sa mission socialisatrice et de diagnostiquer l’incompétence parentale, la défaillance, voire l’irresponsabilité ? Non, même si des émissions télé telles que Super Nanny ou Le Grand Frère stigmatisent les familles qualifiées de défaillantes, sauvées par une aide venant de l’extérieur. Et donnent du coup une image rassurante, comparative, en miroir, aux autres parents. Les sociologues ont alors étudié la mise en pratique des conseils émis par les spécialistes. Elle dépendrait de la position sociale des parents et deux modèles se dégageraient (de manière très dichotomique car la réalité est forcément bien plus complexe) : Un modèle « savant » : la mère, puisque on considère qu’elle seule est capable, la mère donc, dépourvue d’expérience, se réfèrerait aux conseils des professionnels de la petite enfance pour asseoir leurs pratiques. Un modèle « familial » : la mère s’appuierait sur les recommandations des professionnels quand celles-ci entrent en congruence avec ses pratiques héritées de sa propre socialisation familiale. Juste un chiffre et une réflexion pour finir et ouvrir peut-être un dialogue : 90% des membres de l’APGL (association des parents et futurs parents gays et lesbiens) ont fait des études supérieures et occupent des professions intellectuelles, artistiques ou de cadres. Cette association a été à l’initiative de plusieurs colloques internationaux de chercheurs en sciences sociales sur les questions juridiques, sociologiques et politiques posées par l’homoparentalité. Il y a peut-être derrière ce désir d’enfant de la part des gays, surtout quand il s’agit d’hommes, toute une réflexion menée, personnelle, avant de passer à la réalité d’accueillir un enfant.