Je vais faire mon Petit Poucet et essayer de semer des petites pierres sur le chemin du « Droit à l’oubli » qui semble si cher à l’Europe et qui est, à mon avis, si mal compris par elle. Et si on regardait du côté de l’économie ? Peut-on y trouver des clés de compréhension ? La théorie économique considère en effet les données personnelles comme des biens particuliers, des ressources immatérielles, leur exploitation affectant la vie privée. Avant de s’attaquer aux données personnelles, et si on essayait de se poser en premier la question : qu’est-ce que la vie privée ? Est-ce que la définition de l’une peut nous aider à avoir une meilleure définition des autres pour mieux comprendre ensuite ce qu’est ce fameux droit à l’oubli ? La vie privée est une notion difficile à saisir. Son contenu varie en fonction des pays, des périodes historiques. Il varie aussi en fonction de la personne, de ses perceptions et stratégies individuelles, de son éducation, de sa soumission aux lois… Tout cela élargit ou rétrécit son étendue. Bref, ce n’est pas simple car il y a beaucoup d’inconnues, de facteurs entrant en jeu. C’est Aristote qui est à l’origine de cette notion quand il opéra la distinction entre la sphère publique (l’activité politique, la cité) et la sphère privée (vie familiale et domestique). Mais la notion telle que nous l’entendons de nos jours provient de deux juristes, Samuel Warren et Louis Brandeis, des Etats-Unis comme leurs noms l’indiquent, qui l’ont définie en 1890. Ils ont fait apparaître trois dimensions : Le secret : La vie privée est la capacité qu’a l’individu de contrôler la collecte et l’utilisation de ses informations personnelles. Certains économistes, comme ceux de l’Ecole de Chicago, y ajoutent une dimension de suspicion, d’autres préfèrent mettre derrière ce secret une notion plus positive de liberté individuelle. Malheureusement, les effets économiques ne sont abordés que sous l’angle suspicieux. La tranquillité : C’est la possibilité de ne pas être perturbé dans son quotidien. Savoir et pouvoir s’aménager une zone de quiétude. Pouvoir s’isoler de la société devient alors une source de bien-être. C’est un droit à être laissé seul, la zone d’intimité propre à chacun où personne ne peut entrer s’il n’y est pas convié au préalable. Pas seulement du point de vue territorial, mais aussi relationnel et communicationnel. L’autonomie individuelle : C’est la capacité à se gouverner soi-même. Cela implique que nous puissions avoir confiance dans nos capacités de prise de décision afin d’être responsables de nos actes, de nos décisions. C’est aussi un respect moral à avoir vis-à-vis de nous et des autres. Cela renvoie à l’authenticité des désirs, valeurs, émotions à l’origine de nos actions. En France, la libre disposition de soi est un droit reconnu. Un individu peut décider de son propre chef dans quelles circonstances il montre ou dissimule des aspects de sa vie. Mais pour d’autres aspects, bien malgré lui, il subit des contraintes sociales, normatives, parfois coutumières, procédurales d’un point de vue organisationnel, légales, etc. Quand je vous dis que ce n’est pas simple ! L’économiste Hischleifer donne malgré tout cette définition de la vie privée en 1980 : désir humain d’indépendance par rapport au contrôle des autres, désir de contrôler sa propre personne et son propre temps. A partir de là, on peut s’intéresser aux données personnelles et se poser la question : qu’a-t-on le droit de voloir faire oublier ? Mais ça c’est pour une autre note.