Lieutenant russe, Nicolas Durassow vivait à Nice, en France, et avait épousé le 22 septembre 1902 à Moscou Berthe Buisson, une Française qui lui donna quatre enfants :
1/Antonina, née à Nice le 18 mars 1903 à Nice sous le nom de Dourassoff, décédée au même lieu le 31 décembre 1976.
2/Alexandra, née à Nice le 15 mai 1906 selon l’acte de naissance de son fils, décédée après 1979.
3/Pierre, né à Nice le 4 mai 1911, décédé le 3 janvier 1989 à Paris 18e sous le nom de Durassov.
4/Nicolas-Louis, né également à Nice le 12 mars 1917, décédé en la même ville le 11 mars 2002 sous le nom d’Anjou-Durassow. Lorsqu’en mars 1917 le général Nicolas Durassow se présenta à la mairie de Nice pour enregistrer la naissance de son fils, les autorités refusèrent d’inscrire le nom de l’enfant dans le registre avec les prétendus titres russes confirmés à son neveu par les rois d’Italie et d’Espagne. Le 2 avril 1917 cependant, lors d’un voyage en Russie, il réussit à convaincre les autorités civiles locales de Kiev d’inscrire son fils dans leurs registres avec tous les titres.
Lors d’une interview donnée au journal Paris-Soir, le 10 mars 1943, Nicolas-Louis prétendit que Nicolas II de Russie était son parrain. Nous avons de sérieux doutes à ce propos. Pourquoi ?
La Russie connut une révolution en février 1917, du 23 février au 3 mars 1917 dans le calendrier julien utilisé alors par ce pays (soit du 8 au 16 mars dans notre calendrier grégorien). Suite à celle-ci, Nicolas II de Russie abdiqua le 3 mars 1917 (calendrier julien) en faveur de son frère Michel, afin d’éviter une charge trop lourde au tsarévitch Alexis qui était hémophile. Le lendemain, Michel Romanov refuse, devant la protestation populaire, la couronne proposée.
Arrêté, Nicolas II part rejoindre sa famille au palais Alexandre à Tsarkoïe Selo. Le 9 mars 1917 (toujours dans le calendrier julien), la garde de ce palais se retrouve sous l’autorité de contingents révolutionnaires. Personne ne peut plus entrer ni sortir, les lignes téléphoniques sont coupées. Peu à peu, les conditions de détention de la famille impériale se durcissent. Le 31 juillet 1917 (calendrier julien), le Tsar et sa famille partent en train pour Tobolsk (en Sibérie occidentale).
Le père de Nicolas-Louis, depuis au moins 1911, vivait à Nice. Cette ville accueillait des Russes depuis 1856, au moment où la veuve de Nicolas 1er de Russie vint s’y installer. À sa suite, de nombreux aristocrates russes choisirent de venir hiverner sur la Riviera et pour ce faire y acquirent des propriétés, coûteuses. Le fait qu’en 1860, le comté de Nice fut rétrocédé à la France par le roi de Sardaigne n’y changea rien. À la veille de la Première Guerre Mondiale, plus de 600 propriétaires de nationalité russe sont recensés dans la ville. En 1912 est même inaugurée une cathédrale orthodoxe consacrée à Saint-Nicolas, à l’emplacement où en 1865, Nicolas, fils d’Alexandre II s’éteignit à l’âge de vingt ans des suites d’une méningite alors qu’il séjournait à la villa Bermond louée par son père. La guerre de 1914-1918 mit un terme à ce mouvement. La Côte d’Azur devint alors un lieu de prédilection pour les exilés : les Russes blancs n’ayant pas accepté la prise de pouvoir par les Bolchéviks.
Je ne sais quelles étaient les opinions politiques du général Durassow. Toutefois, pour que Nicolas II soit le parrain de Nicolas-Louis, il faudrait que son père, a minima, et lui-même aient pu pénétrer au palais Alexandre pour qu’un pope le baptise en présence du Tsar. Alors certes il était général de l’armée russe mais les temps étaient toutefois pour le moins troubles. Le Tsar était aussi très surveillé. Est-ce possible ? De ce que l’on connaît de leur voyage en Russie, on ne parle que de Kiev et la famille est rentrée par la suite en France puisque le général décède en 1939 dans notre pays. J’aurais donc tendance à le supposer plus Russe blanc que pro-bolchévik. En outre, il y a 1800 kilomètres au plus court pour aller de Kiev à Tsarkoïe Selo.
Alors, il est toujours possible que Nicolas-Louis ait effectivement un parrain impérial mais, de ce que je connais actuellement de la famille, cela m’interroge. Berthe Buisson accouche en pleine révolution russe. A-t-elle accompagné son époux en Russie ? Certes, il existait un train qui reliait directement Nice à Moscou en 52 h, le Riviera Express, mis en place par la Compagnie Internationale des wagons-lits, permettant d’aller vers Berlin et de là de prendre une correspondance pour la Russie. Mais n’oublions pas que Berthe a accouché et qu’elle doit se purifier après cette naissance. En outre, la cérémonie du baptême s’accomplit en quarante jours chez les orthodoxes :
Des prières sont tout d’abord dites sur la mère et sur l’enfant au cours des premières étapes de l’initiation chrétienne. Le rituel fait dire au prêtre sur la mère, le jour de sa délivrance, les phrases suivantes :
« Garde-la, Seigneur, ainsi que l’enfant qu’elle a fait naître, à l’ombre de tes ailes. Protège-la. »
Auxquelles il rajoute :
« Accorde-lui un prompt rétablissement. Guéris ses douleurs, donne à son âme et à son corps vigueur et santé, délivre ses entrailles de toutes sortes de complications. Accélère le rétablissement de son corps affaibli, et fais que son nouveau-né puisse un jour se prosterner dans le temple terrestre préparé pour la gloire de ton saint nom. »
Le huitième jour, le prêtre dit :
« Que la lumière de ton visage brille sur cet enfant, que la Croix de ton Fils unique soit imprimée dans son cœur. Donne-lui d’être agrégé en temps voulu à ta sainte Eglise et de parvenir à la perfection par la communion aux redoutables mystères de ton Christ. »
Puis il prend l’enfant dans ses bras et entonne l’hymne de la Présentation.
Le quarantième jour, il dit enfin :
« Seigneur qui protèges les enfants, bénis maintenant ce nouveau-né et ceux qui ont charge de lui. Rends-le digne, en temps opportun, de renaître par l’Eau et par l’Esprit. Agrège-le au saint troupeau de tes spirituelles brebis. »
Il prend l’enfant et trace, avec lui, un signe de croix devant les portes de la nef en disant :
« Le serviteur de Dieu Nicolas-Louis entre dans l’Église au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit… ».
Il le répète au milieu de la nef et devant les portes saintes de l’iconostase. Après quoi, il chante le cantique de Siméon et rend l’enfant, immergé trois fois dans l’eau, au parrain. L’enfant peut en outre être oint du Saint Chrême. On appelle cela la chrismation, ce qui lui permet de recevoir l’eucharistie à tout âge.
Il faut donc que cette dernière cérémonie se soit passée en présence de Nicolas II de Russie, à Tsarkoïe Selo au palais Alexandre. Donc le 21 avril 1917 pour notre calendrier, le 8 avril 1917 dans le calendrier julien, au moment où les conditions de détention du Tsar et de sa famille sont en plein durcissement. Et Berthe a-t-elle subi au moins 52 h de train si peu de temps après avoir accouché ? Parce qu’il faut compter aussi le temps pour aller de Kiev, où l’enfant a été déclaré en mairie, à Tsarkoïe Selo. Dans un contexte de guerre et de révolution. Au vu de ce que j’ai pu trouver par ailleurs sur cette famille, cela m’interroge beaucoup. Nicolas II de Russie était-il vraiment le parrain de Nicolas-Louis Durassow ou ce dernier l’a-t-il fait croire pour fanfaronner devant le journaliste qui l’interviewait et a-t-il été en fait baptisé à Nice ? J’ai interrogé la cathédrale orthodoxe de Nice à ce sujet et j’attends actuellement sa réponse.




Une réponse à “Nicolas II de Russie, parrain de Nicolas-Louis Durassow ?”
Après vérification : toutes les archives de la cathédrale orthodoxe de Nice se trouvent dans l’église St Nicolas et Ste Alexandra. A la demande du prêtre de celle-ci, j’ai écrit au marguillier (adresse mail donnée par le prêtre de la cathédrale).
Je viens d’obtenir une réponse : a priori, après recherches, pas de baptême concernant Nicolas-Louis Durassow dans les archives de la cathédrale.
Il est donc fort possible, comme il l’affirmait, qu’il ait été baptisé en Russie et que Nicolas II soit son parrain. Au vu du personnage et de sa vie, de la période historique, le doute me semblait plus que légitime.