Je suis actuellement en train de rédiger un article universitaire sur les prétentions d’une famille à descendre d’un membre de la famille des Anjou-Siciles. Dans ce cadre-là, j’ai lancé, pour appuyer mes dires et compléter ce que je pouvais trouver écrit par d’autres auteurs qui ne donnaient pas toujours avec précision des dates, une recherche sur Retronews, le site de la presse issue des collections de la BNF entre 1631 et 1966. En effet, les auteurs disaient que la presse s’était en effet intéressée à cette affaire.

En effectuant cela, je suis tombé sur plusieurs autres histoires dont un faux réseau de Résistance, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. J’ai pensé que cela pouvait être intéressant de vous en parler en plusieurs articles sur ce blog. Commençons donc par ce faux réseau de Résistants.

En 1947, Hussein Shérif Aref, se disant avocat international appartenant aux tribunaux mixtes des sanctuaires égyptiens mais condamné par le tribunal correctionnel de Nice pour usage illégal de ce titre, se disant aussi prince, descendant direct des pharaons, et son jeune comparse Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow (ils ont une trentaine d’années de différence), créent le groupe « Louis » sensé avoir participé aux opérations du maquis dans la région niçoise. Ils se donnent le titre de commandant en chef et de capitaine officier de liaison du Deuxième Bureau. Ils en profitent pour fonder aussi l’Association des Francs-Tireurs Libres de la Résistance, homologuée par la Préfecture des Alpes-Maritimes, reconnue comme formation combattante par un arrêté du ministère de la Guerre le 20 février 1948 sous le n° 3344-5361 ainsi que le réseau « Flamme ». Ils instituent enfin une « Médaille de la Bravoure et de la Résistance » épinglée sur la poitrine de qui voulait, moyennant toutefois finances.

Par décision du 1er octobre 1949, le secrétaire d’État aux Forces armées décerna à Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow la Croix de guerre avec étoile d’argent. Il y eu publication de cette décoration au Journal Officiel en janvier 1950 avant que le ministre n’annulât précipitamment cette décision.

En effet, en mai 1949, un service du ministère de la Guerre s’étonnait de la présence au sein de deux groupes de cette organisation (les réseaux « Flamme et Ténèbres » et « Les Ardents de Clamart ») d’une forte proportion d’étrangers dont la plupart devaient ignorer jusqu’au maniement d’un fusil. L’association des FTLR comprenait 150 membres dont plus de 100 étaient effectivement étrangers : Russes émigrés, Autrichiens, Polonais, Turcs, apatrides de tout horizon.

Deux enquêteurs de la Brigade mobile – le commissaire Pivot et l’inspecteur Lemarie – interrogèrent les principaux adhérents d’un de ces groupes. C’est ainsi qu’ils furent amenés à procéder à de nombreuses vérifications, à Paris et dans les environs, ainsi qu’au ministère des Forces armées. Ils découvrirent aussi que Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow avait été inquiété déjà à la Libération pour avoir été mêlé aux trafics ignobles de la Gestapo et comme ex-collaborateur du Pariser-Zeitung, s’en tirant alors à bon compte par un non-lieu en invoquant la folie, six médecins psychiatres ayant conclu à son entière irresponsabilité. À la fin de leur enquête, nos deux agents de la force publique, cherchant Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow, découvrirent qu’il était déjà sous les écrous, pour outrage public à la pudeur. Hussein Shérif Aref quant à lui partit lui en préventive.

Parmi la liste des gens abusés figure un commandant attaché au ministère de la Guerre grâce à qui ils eurent une homologation du réseau audit ministère. La liste des organisations où ils purent ensuite se glisser est instructive : Fédération nationale des combattants volontaires des deux guerres et des Forces de la Résistance ; Fédération nationale des centres d’entraide des internés et déportés politiques ; Mouvement national de Résistance des prisonniers de guerre et déportés ; Association nationale des victimes du nazisme.

Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow et son complice furent inculpés d’escroquerie, tentative d’escroquerie, fabrication et usage de faux certificats, infraction à l’article 115 du Code de la nationalité française. En effet, leurs certificats de Résistance permettaient à ceux qui en étaient décorés d’obtenir :

  • Une carte de combattant et le droit à des pensions ;
  • Un sursis à un arrêté d’expulsion ;
  • Le règlement à des litiges commerciaux ;
  • La naturalisation française.

Cela leur permettait aussi de blanchir tous les collaborateurs de la Côte d’Azur qui le souhaitaient. Une quarantaine d’autres personnes devaient être inculpées et placées sous mandat de dépôt ou laissées libres sous surveillance de la police.

Le 13 février 1950, ce fut l’heure du procès. Dix-huit personnes allèrent dans le box des accusés en comparant libres. Parmi celles-ci, trois avaient de véritables titres de combattants et de Résistants. Il y avait aussi un inventeur fantaisiste de Clamart se disant président de l’Ordre de la Croix de Lorraine et chevalier du Temple de Jérusalem, le chef de l’Ordre du Mérite franco-britannique et une comtesse ayant organisé des galas tricolores où plus de 350 personnes avaient été décorées.

Par contre, toutes les personnes qui reçurent la « Croix d’Honneur de la Bravoure et de la Résistance des FTLR » ne furent pas impliquées. Il y avait en effet parmi elles des personnalités qui avaient accepté la médaille d’or et dont la présence, même à titre de témoins, n’avait pas été jugée utile par le Parquet.

L’audience du 13 février 1950 fut pour le moins mouvementée. Hussein Shérif Aref, très homme d’affaires, interpella témoins et avocats sans retenue, allant jusqu’à utiliser l’injure. Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow soulevait, quant à lui, l’hilarité générale à chacune de ses interventions et paraissait très content de lui avant de raconter une très longue histoire dans laquelle il parla d’un chef au service duquel il se mit à son service dès 1938. Il nia avoir reçu de l’argent contre les titres distribués puis nomma et interpella certaines personnes dans la salle.

Hussein Shérif Aref n’hésita pas à proclamer, avec tout le sérieux dont il lui était possible d’avoir, que le débarquement en Provence avait eu lieu grâce à lui. Il nia avoir rédigé les statuts des FTLR mais qu’il avait uniquement joué le rôle de la dactylo. Selon lui, les certificats étaient déclaratifs et simplement signés par eux.

Un nouveau tumulte se créa avant que Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow ne soit emporté manu militari sous le bras d’un agent de la force publique.

Des organisations de Résistance ayant réellement existé (MLN, Confédération des Maquis de France, Fédération des Amicales et Réseaux de la Résistance, Mouvement Ardent) s’étaient faites représenter par trois avocats et s’étaient constituées parties civiles.

Le 28 février 1950 fut le jour du verdict. Hussein Shérif Aref et Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow furent condamnés à un an de prison et cinq ans d’interdiction de séjour. Il y eut confusion de la peine de Nicolas-Louis d’Anjou-Durassow avec celle déjà prononcée contre lui le 4 janvier 1950. Six co-inculpés, dont une femme, furent condamnés à 10 000 francs d’amende.

Sources :

L’Aurore, 12 mai 1949

La Croix, 4 juin 1949

Qui, 13 juin 1949

Qui, 18 juillet 1949

Libération, 5 janvier 1950

Ce Soir, 14 février 1950

Le patriote de Nice et du Sud-Est, 14 février 1950

Le Populaire, 1er mars 1950

Combat, 1er mars 1950

Rivarol, 14 juin 1951

La Croix, 31 janvier 1952