Le plus souvent, quand on démarre son activité en tant qu’entrepreneur, nos partenaires financiers nous demandent d’établir un business plan, qui les rassurent. Combien allons-nous gagner dans trois ans ? Comment voyons-nous le développement de notre société ? Quel pourcentage du marché allons-nous pénétrer ? Quel produit allons-nous lancer pour cela ? Combien allons-nous leur demander d’argent pour cela ? Serons-nous en capacité de les rembourser dans les temps imparti ? Et ils veulent bien sûr des chiffres en face. Houlà ! On se calme !
Un entrepreneur, il ne fonctionne pas du tout comme cela. Mais alors, pas du tout ! Il a une envie, une idée et il va essayer de la mettre en œuvre, plus ou moins rapidement, en démarrant le plus modestement possible le plus souvent.
Quand je me suis installé, il y a maintenant 25 ans, après trois années de salariat qui m’avaient permis de comprendre que ce n’était pas mon mode de fonctionnement dans le travail, je savais une chose après avoir effectué un bilan de compétences : j’aimais la généalogie et il n’y avait pas, à ma connaissance, de professionnel sur la région Midi-Pyrénées. Une place était donc à prendre. Je savais aussi que j’étais timide, qu’il allait falloir m’apprendre à dépasser cette timidité pour pouvoir devenir a minima commerçant. J’avais des compétences, un réseau, j’avais envie. J’ai donc démarré avec ce que je possédais, plus important à mes yeux que des ressources financières hypothétiques. PRINCIPE N°1.
Comme je n’étais pas une tête brûlée, que je connaissais mes lacunes en commercial, j’étais prêt à accepter des pertes qui me semblaient raisonnables. J’ai donc commencé par apprendre dans une coopérative d’activités et d’emplois pendant trois ans, à tester mes produits, mes tarifs. PRINCIPE N°2.
Contrairement à mes collègues, je ne me voyais pas rédiger un rapport relié à la fin de mes recherches. J’avais envie de faire participer mes clients, de leur dire comment j’avançais dans mes recherches pour eux, au fur et à mesure que j’effectuais des trouvailles (et de les faire payer au fur et à mesure). Je leur ai donc fait des rapports mensuels, sans reliure. J’avais travaillé comme cela avec un généalogiste professionnel pour mes ancêtres de Loire-Atlantique et j’avais apprécié de coconstruire avec lui, de lui dire comment ses découvertes me faisaient réagir, de lui poser mes hypothèses, de lui dire mes enthousiasmes. PRINCIPE N° 3.
J’ai saisi au départ les opportunités qui se présentaient. Que ce soit en généalogie ou au niveau de la valorisation du patrimoine du point de vue historique. Cela m’a permis de faire des choix et d’aller de plus en plus vers la généalogie, malgré l’achat d’un costume bordeaux et de cravates qui sont très vite restés dans mon placard. Je préférais être à l’écoute de ce que me demandaient mes clients ou les personnes que je pouvais rencontrer comme être l’un des premiers à mêler insertion professionnelle et généalogie ou faire de la formation, comme depuis maintenant une douzaine d’années à Nîmes. PRINCIPE N° 4.
Cela m’a permis de développer ma créativité, d’essayer d’agir sur mon environnement, que cela fonctionne ou pas. Ce fut le cas de différents produits, comme la ligne d’écoute SOS Généalogie mise en place avec d’autres généalogistes. J’y inclus là-dedans mon passage dans différents syndicats professionnels de généalogistes. Tester, ressentir et réagir en fonction. PRINCIPE N° 5.
Mais c’est quoi ces principes, vous demandez-vous sans doute ? Ce sont ceux découverts par Saras Sarasvathy, une Américaine d’origine indienne, à la fin des années 1990, dans le cadre de son doctorat dans lequel elle a observé comment agissaient réellement les entrepreneurs. On les appelle l’effectuation.
Ils sont complètement à l’inverse du business plan. On ne va pas chercher des moyens pour atteindre un objectif décidé ex nihilo. On fait au contraire émerger, à partir des ressources dont on est déjà en possession, un objectif, une envie créatrice. J’ai ça comme ressources disponibles, donc je peux faire ça. Plutôt que je veux arriver à ce but, donc comme je n’ai pas les ressources disponibles, je vais aller les chercher pour l’atteindre. D’un côté « je peux », de l’autre « je veux ».
Je me rends compte que je suis très effectual. Cela vient sans doute de mon éducation, d’une phrase qu’un adulte me répétait toutes les fois que j’exprimais un « je veux » quand j’étais enfant : Il n’y a que le roi qui veut ! Mais c’est qui ce roi ? Je n’ai sans doute pas commencé à apprendre la généalogie en effectuant celles des Dieux grecs puis des rois de France pour rien. Et vous, effectual ou business plan ?