Je suis en train de lire actuellement un ouvrage d’Éric H. Cline sur la survie des civilisations : comment les différentes civilisations du Moyen-Orient (au sens le plus large, de la Grèce à l’Egypte en fait) sont passées de l’âge du Bronze à celui du Fer, comment certaines se sont effondrées et d’autres ont survécu, quelles sont celles dont nous avons reçu un héritage. Dans cet ouvrage, il parle du cycle adaptatif en résilience ou de la notion écologique de panarchie, représentée par la forme d’un huit couché et se subdivisant en quatre phases, dans ce sens-là :

Alpha : phase de réorganisation. Phase d’émergence, de nouvelles opportunités, d’innovations. C’est une phase chaotique, aléatoire, faite de nombreux moments d’essai-erreur.

Rhô : phase de croissance et d’exploitation. On passe de l’invention à l’action. C’est une phase entrepreneuriale.

Kappa : phase de conservation ou de maturité. On engage différents capitaux, ressources, connaissances et processus. C’est la phase où le capital est réassemblé de manière plus appropriée dans un nouveau contexte. On abandonne des pratiques éprouvées et familières. C’est le terreau fertile pour l’innovation.

Omega : C’est la phase de l’effondrement chaotique, de déliaison. Elle ramène vers une nouvelle phase alpha.

Il compare ensuite cette chute et cette renaissance des civilisations en employant des notions issues des différents rapports du GIEC, notamment celui de 2012. Cela peut sembler osé mais c’est très instructif. Cela permet aussi de réfléchir sur ce que nous sommes en train de vivre d’un point de vue civilisationnel.

Par exemple, une civilisation peut connaître d’abord une perfect storm, une combinaison d’évènements rares à l’origine d’une situation particulièrement dramatique, ou tout simplement être vulnérable, c’est-à-dire vivre une période où les risques représentent un niveau de menace inhabituel. Elle peut commencer par limiter les dégâts en prenant des mesures visant à limiter l’aggravation des conditions défavorables une fois que la catastrophe a eu lieu afin d’en éviter une seconde. Elle peut ensuite faire face en utilisant ses capacités minimales afin des réagir à la menace immédiate. Elle se concentre sur le moment présent avec le souci de simplement survivre. Si elle a réussi cette étape, elle peut alors s’adapter, affronter une menace future potentielle mettant en jeu l’apprentissage et la réinvention. L’étape suivante consiste à se transformer, être capable d’apprendre et de s’adapter dans le feu de l’action voire de se réorganiser après une perturbation tout en continuant de se préserver ses structures et ses fonctions de base y compris pendant la durée de l’évènement l’affectant. L’ultime étape est sa capacité de montrer qu’elle est anti-fragile, c’est-à-dire qu’elle peut vivre dans une situation dans laquelle ses performances civilisationnelles vont bien au-delà de la résilience ou de la robustesse et l’amènent à prospérer même quand elle subit une dose « adéquate » de stress en tirant parti de la situation pour s’épanouir.

Pourquoi je vous parle de tout cela ? Quel est le lien avec la généalogie ? Je fais personnellement le lien non pas avec la recherche généalogique, quoique je suis sûr que nous pourrions l’adapter en termes d’apprentissage, du moment où nous débutons les recherches et nous nous trouvons la première fois devant un document d’archives inconnu et que nous ne savons pas comment le prendre, à notre connaissance approfondie des documents après plusieurs années de pratique et de fouille, mais plus avec la vie d’une entreprise de généalogie professionnelle.

La vie d’une généalogiste professionnel n’est pas un long fleuve tranquille. Depuis que j’ai débuté en l’an 2000, il m’a fallu m’adapter d’abord aux numérisations des archives. Cela a entraîné des demandes modifiées de la part de mes clients. Il est très rare qu’un généalogiste amateur me demande de faire de la recherche en état civil à sa place parce qu’il est éloigné des sources. Cette demande dans l’état civil ne vient que de personnes qui veulent avoir leur arbre mais qui ne veulent pas effectuer les recherches. La numérisation aurait pu montrer mon éventuelle vulnérabilité. Il m’a fallu faire face et m’adapter. Il a fallu derrière me transformer, proposer de nouvelles prestations, trouver de nouvelles ressources financières.

Actuellement, depuis on va dire quatre ans, ma structure connaît quelques bouleversements entre l’arrivée et le départ de mon associé en peu de temps, mes problèmes de santé qui sont venus se rajouter les uns derrière les autres jusqu’à devoir m’arrêter plusieurs mois, le salariat de ma collaboratrice qui m’oblige à la faire passer en priorité.

Nous sommes en train de penser à une nouvelle organisation de l’entreprise, en rajoutant de nouveaux prospects que nous n’allions pas chercher jusqu’à présent, en rajoutant de nouvelles prestations. Pour pouvoir être légitime dans celles-ci et vis-à-vis de ces nouveaux interlocuteurs, je passe un nouveau diplôme par l’intermédiaire de la VAE. De nombreux changements sont en train de se produire.

Je me sens entre la phase alpha et la phase rhô dans mon cycle panarchique. Encore un peu d’anarchie, de chaos avec un début d’action. Cela permet aussi d’essayer de prendre du recul. Une période très riche de ce fait. Pas simple à vivre mais très riche émotionnellement.