Nous avons parfois des dossiers émouvants, qui nous laissent des traces indélébiles dans notre profession de généalogiste. J’en ai plusieurs comme cela mais celui-ci est très particulier. Avec l’accord préalable de la personne, sachant que j’ai absolument tout modifié (dates, lieux, noms, professions, sexes) pour ne conserver que l’histoire par respect pour mon client, j’aimerais vous parler aujourd’hui de l’histoire de Donovan, un enfant adopté, délaissé judiciairement.

Donovan est né à La Chapelle-Heulin (44) à une époque où les prénoms anglais étaient à la mode. Le même jour, son père Gwenc’hlan, d’origine bretonne comme son prénom l’indique clairement, le reconnaît. Sa mère Alexandrine le reconnaîtra dix jours plus tard. Gwenc’hlan et Alexandrine sont des concubins. Ils ne sont pas mariés, ni même fiancés. Quasiment un an jour pour jour après sa naissance, Alexandrine disparaît de la vie de Donovan et Gwenc’hlan, sans un mot, sans se retourner. Elle ne réapparaitra plus dans la vie ni de l’un ni de l’autre. Gwenc’hlan se retrouve avec un bébé sur les bras, alors qu’il est intérimaire dans le domaine de la construction et qu’il prend des chantiers n’importe où en France. Va-t-il faire mener à son fils cette vie d’un endroit à l’autre au gré de ses emplois ? Alexandrine représentait la stabilité dans son foyer mais elle n’est plus là. Que faire de ce bébé ? Il essaie dans un premier temps de le prendre avec lui mais être maçon et s’occuper d’un bébé en même temps, il se rend très vite compte que c’est très compliqué. Il lui faut une vie stable à ce bébé.

Une amie, prénommée Soizic, assistante maternelle de profession, avec l’accord de son mari Erwan, directeur d’Ehpad, propose de le lui garder moyennant paiement d’une pension. Elle habite, tout comme lui, à La Chapelle-Heulin. Il pourra ainsi le voir chaque fois qu’il voudra quand il reviendra chez lui. Gwenc’hlan accepte et paie ce qu’il doit à Soizic et Erwan. Mais très vite Gwenc’hlan arrête de payer cette pension et ne reviendra plus à La Chapelle-Heulin. Il ne donnera plus de nouvelles. Soizic et Erwan se posent la question au bout de quelques mois : que faire de ce bébé, auxquels ils se sont attachés ? Ils ne vont quand même pas le confier à la DDASS ! Alors ils écrivent au tribunal des enfants de Nantes, en expliquant la situation. Le juge de enfants accepte de le leur confier, la profession de Soizic aidant pour cela. En attendant que Gwenc’hlan ou Alexandrine se manifestent à nouveau.

Les années passent. Soizic et Erwan ont déménagé. Ils sont désormais à Strasbourg, bien loin de leur Bretagne natale (car ils considèrent que la Loire-Atlantique fait partie de la Bretagne et que la Région à laquelle elle appartient administrativement est une fausse région faite de bric et de broc). Ils ont eu entre-temps un petit Youenn. Donovan et Youenn suivent leur scolarité, sans difficulté aucune, à Strasbourg et s’entendent comme larrons en foire. Gwenc’hlan ou Alexandrine ne se sont toujours pas manifestés. Pourtant, Soizic et Erwan ont laissé une adresse à la mairie pour qu’on puisse leur écrire sans difficultés. Mais ni l’un ni l’autre ne donne des nouvelles. Ils ne savent pas s’ils sont en vie. Ils se sont attachés à Donovan. Et s’il devenait vraiment leur fils ? Ils lui posent la question. Donovan serait ravi, une vraie banane sur le visage et battant des mains. Oui mais, ce sont Gwenc’hlan et Alexandrine qui sont officiellement ses parents.

Alors ils font une requête au tribunal de Strasbourg, expliquant à nouveau la situation, en donnant chacun leur nom, leurs prénoms, leur profession, leur nationalité, leur domicile. Ils voudraient que Donovan soit judiciairement déclaré abandonné, devenant pupille de l’État. Ils voudraient se voir déléguer les droits de l’autorité parentale afin de pouvoir ensuite l’adopter entièrement. Pour faire cela, comme le procureur de la République dans ses conclusions ne s’y est pas opposé, le tribunal convoque par exploit d’huissier Gwenc’hlan et Alexandrine aux diligences du procureur de la République à leur dernier domicile connu. Ni l’un ni l’autre ne répond ou constitue un avocat pour les représenter.

Le tribunal en conclut que les parents naturels s’étant désintéressés de leur fils depuis plus d’un an, il peut prononcer l’abandon judiciaire de leur part et peut déléguer de ce fait les droits de l’autorité parentale à Soizic et Erwan. La décision est transcrite sur l’acte de naissance de Donovan. Neuf mois après cet abandon judiciaire, Donovan est adopté, officiellement, en adoption plénière par Soizic et Erwan. Comme ils s’occupent régulièrement de lui, qu’il existe des liens affectifs, ils n’ont pas eu besoin de demander un agrément. Le juge a fait constater qu’il n’y avait aucun souci à son arrivée dans la famille des adoptants. Ce fut une formalité, Youenn étant né après lui et l’assistante sociale avait constaté que les deux enfants s’entendaient. La différence d’âge entre les adoptants et l’adopté était aussi respectée. Le jugement est transcrit sur les actes d’état civil de sa commune de naissance. Son acte de naissance original est revêtu de la mention « adoption » et considéré comme nul à la diligence du procureur de la République. Donovan, qui a gardé son prénom et a donné son accord car il a plus de treize ans, est désormais officiellement leur fils.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Donovan connaît le nom de ses parents biologiques. Cela le turlupine de ne rien savoir à leur sujet. Il a écrit aux procureurs de la République qui ont botté en touche, celui de Nantes renvoyant à celui de Strasbourg qui renvoyait à celui de Nantes. Un vrai Ouroboros judiciaire. Le CNAOP ne pouvait rien pour lui non plus. Il connaissait le nom de ses parents biologiques, marqué dans son jugement de délaissement.

Il est alors venu vers moi, en tant que généalogiste, pour connaître le devenir de ceux-ci. Où étaient Alexandrine et Gwenc’hlan ? Étaient-ils toujours en vie ? Accepterais-je de l’aider ? Je lui ai demandé qu’il me signe un mandat, lui donnant comme modèle celui que peuvent signer les notaires aux généalogistes successoraux. Il valait mieux se couvrir légalement.

C’est ainsi que Donovan a découvert que, du côté d’Alexandrine, il avait plusieurs sœurs nées aux quatre coins de France et de Navarre, qui ne se connaissaient pas forcément. Même si le lien familial était rompu définitivement, du fait de son adoption plénière, Donovan les a toutes rencontrées et des liens se sont créés, plus ou moins forts. Alexandrine en revanche, une fois contactée, n’a jamais voulu reconnaître qu’elle avait ce fils ni le rencontrer.

Gwenc’hlan quant à lui était décédé sur un chantier, dans le cadre d’un accident de travail, au moment où il n’avait plus donné de nouvelles à Soizic et Erwan. Ne sachant pas qu’il était père d’un fils, personne n’avait songé le moins du monde à prévenir qui que ce soit. Et comme Gwenc’hlan était fils unique de parents nés eux aussi enfants uniques, aucune famille proche n’avait pu le dire à son employeur. Son père ne lui avait rien laissé malheureusement.