Je ne sais pour vous mais j’ai déjà rencontré en salle de lecture des Archives des personnes qui ne touchent les documents que les mains gantées de blanc coton. Je vois une dame d’un certain âge notamment aux Archives du Tarn qui le fait en permanence. Selon une croyance largement répandue, le contact des mains nues avec le papier provoquerait en effet des détériorations chimiques. Sauf que… Aucune preuve scientifique ne vient corroborer cette croyance.
Selon Nishimura, le port de gants de textile pour des raisons de conservation remonte probablement au XIXe siècle quand les photographes voulaient protéger leurs négatifs des traces de doigts. Lors de la Conférence de l’IFLA à Vienne (en 1986 donc) quand Hendricks conseillait que les « négatifs et les épreuves non protégés soient manipulés uniquement à l’aide de gants de protection qui ne peluchent pas, en coton ou en nylon », Merrily Smith, qui représentait la Bibliothèque du Congrès, dans son article très complet sur l’entretien et la manipulation des documents, ne mentionnait pas l’utilisation de gants en bibliothèque. Par conséquent, il semble que l’usage des gants de coton se soit étendu aux salles de lecture conservant des livres rares et des archives, seulement dans la dernière décennie du XXe siècle, ce qui laisse penser que cette pratique a aux alentours de vingt ans.
Le sens du toucher est en outre atténué. Les êtres humains que nous sommes sont normalement dotés de cinq sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût, permettant d’appréhender l’environnement dans lequel nous nous trouvons. Normalement, quand tout va bien, ils fonctionnent ensemble pour enrichir et affiner nos perceptions immédiates. Les plus importants lorsque nous consultons des documents-papier sont le toucher et la vue. Nous avons besoin de ce toucher. C’est lui qui permet de nous dire si le papier est épais, tissu ou bois. C’est lui qui nous fait sentir que là, on a pris deux feuilles à la fois au lieu d’une. C’est lui qui nous fait prendre précautionneusement un document fragile entre les doigts et qui nous dit qu’il faut le tourner avec douceur. C’est lui qui nous permet de savoir qu’une page est cornée. Mettez des gants bancs en coton et essayez de ressentir tout cela. Beaucoup plus compliqué !
Rétropédalage. Souvenez-vous… Si, si… Souvenez-vous. Vos ancêtres n’avaient pas l’électricité pour les éclairer la nuit ou quand le temps était maussade et gris. Ils ont donc écrit leurs documents devant ou pas très loin d’une bougie qui dégageait de la fumée. Pas de chauffage central non plus, mais par contre des cheminées qui pouvaient laisser passer de la suie. Une hygiène qui était aussi loin d’être la nôtre. Bref des conditions pas vraiment optimales. Et ce pendant des siècles. Les documents qu’ils nous ont transmis ont survécu à tout cela. Et maintenant pour sauvegarder les documents, nous avons la numérisation après avoir connu le micro-filmage. Vous nous faites quoi avec vos gants blancs en coton ?
En réalité, la dernière fois que vous avez vu, mais vraiment vu de chez vu, une trace de doigt sur un morceau de papier, c’était quand ? Dites-moi voir un peu !
Le lavage régulier des mains est un moyen beaucoup plus efficace pour empêcher que les documents ne se salissent. Croyez-moi ! Ne vous êtes jamais dit en sortant de la salle de lecture qu’il vous fallait aller vous laver les mains avant de faire autre chose ? N’êtes vous jamais aller vous laver les mains à un moment ou à un autre entre deux documents parce que vous sentez que c’est nécessaire, voire impérieux, parce que vous sentez votre peau différente, imprégnée ? Personnellement si. L’idéal ce serait de le faire aussi avant d’entrer en salle et de bien s’essuyer les mains pour ne pas laisser de l’humidité sur les doigts.
S’il est nécessaire de porter des gants pour la protection du personnel et des lecteurs, ils doivent être bien ajustés et non poudrés, en vinyle (pour éviter les problèmes d’allergies au latex). Les perceptions tactiles en seront certes diminuées mais pour des documents moisis ou très sales, ce sont la santé et la sécurité qu’il faut quand même privilégier. Avec la manipulation des photographies, c’est le seul moment où vraiment il faut en mettre.
Alors…Est-ce une si bonne idée que cela ? Protègent-ils vraiment ? Eh bien non ! Relevez le gant et jetez-le !
6 réponses à “Relevons le gant ! Jetons-le !”
Mon bonheur quand je vais aux archives, c’est justement de pouvoir toucher et respirer les documents. Avec Internet, les recherches sont plus faciles et plus rapides, mais il manque ces sensations que pour ma part je ne peux décrire. Un jour peut-être, nous aurons des applications qui nous permettront au travers de nos écrans de ressentir ces odeurs et d’avoir ce contact avec les manuscrits. C’est comme si on avait un lien direct avec les personnes qui défilent au fil des pages.
Bonjour,
C’est vrai que cela me manque aussi. Ouvrir le document et entendre sa reliure craquer si elle est en parchemin, toucher le papier, sentir une odeur se dégager dès l’ouverture et puis lire. Tout cela n’est plus quand on ouvre un document numérique. Nous n’avons plus que nos yeux. Même si je peux comprendre les besoins de la conservation, le fait de sauvegarder des outrages du temps les documents trop souvent consultés et qui peuvent s’abîmer, je trouve cela dommage.
Bonjour,
Je suis aussi nostalgique des livres, quand j’allais aux archives du 31, il y avait une joie de feuilleter ces livres anciens de découvrir ces écritures, et je mettais moins de temps à chercher. Je trouve que je m’égare plus avec l’ordinateur.
Je préfère avoir les écrits, qui me sont plus fiables, au cas où….
Je ne sais pas si je suis nostalgique ou si j’ai simplement peur que mes sens s’appauvrissent en n’étant que sur du numérique. IL est vrai que l’ordinateur peut donner envie de plus papillonner. C’est tellement simple d’aller d’une page de site à une autre page de site. Ce que ne permet pas un ouvrage. Cela demande du coup d’être plus attentionné, plus attentif. De se fixer des règles plus strictes. Le travail de recherche est différent.
C’est ridicule,
Que des documents vieux de plusieurs centaines d’années aient à souffrir de se voir recouvert de la sueur, du gras, des bacteries et autres résidus qu’un tout à chacun peut transporter sur ses doigts d’un simple grattement de tête uniquement pour le simple plaisir égoïste de « ressentir » le papier est un outrage.
Laissons faire, les générations futurs souffriront des conséquences… comme toujours.
Autrefois, il y a même très longtemps, une vieille habitude consistait à mouiller son index avec sa salive pour tourner plus facilement les pages en papier ou en parchemin … Peu hygiénique me direz-vous … D’où l’idée de certain moralistes radicaux d’imprégner de cyanure les pages des livres emprisonnés dans l’enfer des bibliothèques … Dans ce contexte assez particulier, l’usage de gants blancs (où même d’une autre couleur) pourrait se révéler salvateur …