Le généalogiste a-t-il un territoire ? Peut-on penser, comme on a pu me l’écrire : « la notion de zone géographique paraît totalement dépassée. Aujourd’hui, la généalogie familiale est en péril imminent de disparition et ce sont les professionnels qui acceptent tous les dossiers, notamment sans restriction géographique, qui s’en sortent le mieux. Ceci n’écarte pas le fait que l’on soit meilleur sur « son secteur » mais en matière de réalité économique c’est une hérésie. » Et si on commençait par définir ce qu’est un territoire ?

Pour les éthologues :

Le territoire est mobile, élastique dans son tracé, variable selon les saisons, les heures, les activités, les dangers. Pendant la période de la reproduction, il dépend entièrement du mâle.

Pour les juristes :

Actuellement, c’est tout un éventail d’indicateurs quantitatifs, censés chiffrer le « capital identitaire local ». Il exprime les nouveaux modes de vie des citoyens aux mobilités réelles et virtuelles.

Auparavant, il se situe dans l’espace. Il possède des limites linéaires et stables avec des frontières naturelles et d’autres décidées par traité.

Pour les historiens :

Un territoire est un espace appropriable, possédant des limites, portant un nom. Il s’agit d’un espace dominé, pensé, désigné. Il est un produit culturel que l’homme choisit à l’intérieur d’ensembles encore indifférenciés. Une portion de surface terrestre qu’un groupe social s’est approprié pour y assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux. Le territoire est indissociable du groupe. Il est un enjeu de pouvoir. Il génère des représentations symboliques, imaginaires, patrimoniales, nourries de la langue dominante parlée par ses habitants.

Pour les géographes :

C’est le besoin de conserver un lien, dans le cadre d’un monde global, avec le quotidien, les acteurs que l’on connaît, dans l’espace au sein duquel on évolue. Il existe d’un côté l’éclatement des lieux, la multiplication des possibilités de contact avec un certain marasme économique avec en parallèle des conflits, des incertitudes, dus à la montée des extrémismes, un dérèglement climatique, des informations multiples et dramatiques en provenance du monde entier. Cela implique un cadre de vie maîtrisé, connu, au sein duquel les acteurs sont identifiés. C’est un véritable besoin. Le territoire est le lieu d’où l’on vient, où l’on est, où l’on vit, où l’on crée des liens plaçant le système familial en équilibre au sein d’un système local.

Pour les urbanistes :

Le territoire est un espace cloisonné, constitutif d’aires de confinement au regard de certains critères sociaux, du centre-ville au ghetto.

Il est aussi un espace qui n’est plus terrestre mais s’éparpille dans ses confins. Seule compte la destination, pas le parcours. C’est un palimpseste, une sorte de mille-feuilles. Les citoyens sont désormais citoyens du monde, déconnectés d’un territoire précis. On peut contrer cette tendance en misant sur un projet local auto-soutenable comme le fait de produire et consommer localement, de manière écologique.

Pour les économistes :

L’Etat, les collectivités territoriales, la société civile, l’intercommunalité et les entreprises font le territoire. Entre ces différents acteurs, il y a des inter-relations multiples qui lient ceux qui décident, perçoivent, s’opposent ou s’allient, imposent et finalement aménagent. C’est un réseau extrêmement dense, vécu, dans lequel nous évoluons. Nous l’influençons autant qu’il nous influence. Il fonctionne toujours malgré la disparition de certaines relations. Des relations qui apparaissent et disparaissent sans cesse.

Cet espace économique évolue sans cesse et en permanence. Le cadre législatif de même, avec des temporalités de l’ordre de quelques dizaines d’années. La donne politique est elle aussi renouvelée régulièrement (avec des temporalités inférieures à 10 ans). L’environnement global a une lisibilité d’un an. Les idéologies évoluent en permanence. Les hommes agissent selon les situations qui se présentent. Cela est donc d’une rare complexité.

Et dans cette complexité, il y a des ressources. Servant de fondement à une offre. En fabricant sur le marché des produits uniques, les entreprises se singularisent en développant leurs images propres. Un processus d’apprentissage fait en permanence partie de l’évolution de l’entreprise.

Cela rentre en phase avec les notions de « marque » et d’image. C’est ce qui permet de distinguer une entreprise d’une autre, d’être remarquée et de donner à voir de l’imaginaire à ses clients.

Pour les sociologues :

Le territoire est au coeur de l’identité. C’est un investissement affectif et culturel. Le territoire est un lieu de vie, de pensée et d’action dans lequel et grâce auquel un individu se reconnaît. Dans lequel il met du sens et en route un processus identificatoire et identitaire.Le territoire est un phénomène immatériel et symbolique, un pur produit de l’imaginaire humain.

Pour les anthropologues :

Chacun fait une expérience particulière du territoire car habitant des mondes sensoriels différents. Il marque la distance entre le proche et le lointain. Il est objectivement organisé mais culturellement inventé. C’est un lieu symbolique de la reconnaissance, de la connaissance et de l’apprentissage. Le « vivre ensemble » devient alors convivial sur la base d’une image valorisante.

Pour les travailleurs sociaux :

Le territoire possède des limites strictes. Mais le meilleur des territoires c’est la rencontre elle-même. Car il exprime un mal-être, un malaise, un dysfonctionnement pour un individu qui ne sait plus où se trouvent ses propres frontières.

Et pour le généalogiste ?

Je ne sais pas vous mais, en lisant toutes ces définitions, j’ai retrouvé mon métier de généalogiste. Identité. Apprentissage. Reconnaissance. Symbole.  Lien entre des humains. Tout cela fait partie de la généalogie. Je me suis retrouvé par petits bouts dans chacune de ces définitions.

Notre territoire, ce n’est pas seulement un espace géographique, qui évolue au fur et à mesure que nous évoluons. Internet a modifié le territoire de chacun, l’a agrandi. Mais nous nous sommes aussi enracinés dans celui de nos ancêtres. Dans ce monde sans frontières, le généalogiste ne cherche pas que ces ancêtres. Il cherche aussi un lieu auquel il puisse se raccrocher. Un lieu dont il puisse dire : je suis de là. Là, ce petit espace de terre, c’est chez moi. Je m’y sens bien. Là ont vécu mes ancêtres, là sont mes racines. C’est peut-être un lieu imaginé mais c’est un lieu important aux yeux de chacun.

Celui du professionnel en plus est mouvant. Nous sommes aussi des passeurs de territoire.  Nous permettons à nos clients de retrouver le leur, après avoir souvent retrouvé le nôtre.

En fonction de nos prestations, le territoire que nous avons est aussi notre zone de chalandise, là où nous allons chercher nos clients, là où nous menons nos recherches pour eux.  Il s’agrandit au fur et à mesure que nos compétences s’agrandissent. Il suit la mise en place de nos prestations. L’un ne va pas sans l’autre, ils sont complètement imbriqués. J’oserais dire fusionnels, voire symbiotiques.

Dans ce monde qui s’ouvre en permanence, qui s’agrandit, qui évolue, dans ce monde sans frontières, nous permettons un enracinement. Ce n’est pas rien !