Chaque année, je surnomme la promotion du DU. J’essaie de le faire en fonction d’un événement qui me semble marquant dans la promotion ou une manière d’être. Nous pourrions faire comme les premières années de l’ENA : se retrouver dans un séminaire d’intégration pour baptiser la promotion tous ensembles. Chaque étudiant proposant alors un nom issu de l’histoire ou de la généalogie et disposant d’une minute de parole pour soutenir son choix. Puis il y aurait un vote à plusieurs tours, la sélection diminuant à chaque fois, le temps de parole augmentant. Et on y passerait la nuit. Mais cette manière de faire ne m’intéresse pas. Elle est très administrative. Sans âme. Surnommer une promotion à l’université, je ne crois pas que cela se fasse. Mais je fais tellement de choses à l’université qui ne se font pas : Être convivial par exemple et manger avec certains (ceux qui en ont envie) lors des recherches aux Archives du Gard. Inviter la promo à manger à la rentrée afin que tout le monde se connaisse avant le grand bain. Passer des soirées avec ceux qui dorment comme moi à la Maison Diocésaine et discuter généalogie ou autre. De même, si j’ai cours avec eux le samedi matin, nous sommes souvent plusieurs à attendre nos trains respectifs dans le même hall de gare en début d’après-midi. Parce que, comme les étudiants, je ne suis pas de Nîmes. Comme eux, je me déplace du jeudi soir au samedi après-midi. Nous avons cela en commun. Cela ne veut pas dire que je suis leur ami. On ne se tape pas de grandes claques dans le dos. Je reste le professeur, celui qui note, donne les consignes, recadre chaque fois que c’est nécessaire ou que j’ai l’impression que cela part en vrille. Et je ne me gêne pas pour le faire. Et s’il faut pousser une gueulante, eh bien je n’hésite pas. C’est rare mais cela m’arrive. Cela ne veut pas dire non plus que je manque de rigueur ou de professionnalisme dans mes cours, et chaque année j’essaie d’améliorer ceux-ci en fonction de leurs retours, de leurs demandes. Et j’ose croire que cela fonctionne en termes de formation. Nous avons des demandes d’emplois, des demandes de stage qui arrivent régulièrement de la part des successoraux, alors que ce n’est pas le but premier de la formation, plus centrée sur la généalogie familiale. Les étudiants trouvent du travail à la sortie du diplôme (du moins nous le savons pour ceux qui donnent des nouvelles). Simplement j’ai aussi un autre rapport parce que je suis un professionnel, que j’ai des clients à côté. Et que souvent, je suis le premier professionnel qu’ils rencontrent pendant plusieurs mois de manière suivie. Ils ont besoin de ma pratique, d’anecdotes que je peux leur donner, en plus d’informations façon cours magistral. Il faut donc mettre en place à la fois une distance et une proximité. Une distance pour le côté cours magistral. Une proximité pour le côté anecdotes parce que là nous parlons le même langage. Je leur donne une méthodologie, un cadre, des règles, par l’intermédiaire d’une pédagogie. Ils viennent chercher des connaissances sur une matière qui leur tient à cœur. Il faut qu’ils repartent satisfaits à ce sujet. Comme le dit un des DU à distance dans son mémoire : je lui ai fait découvrir une matière qu’il pensait pourtant connaître et maîtriser. D’une certaine manière c’est un rapport « commercial » entre eux et moi. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs. Eux et eux seuls, en fonction de leur ressenti pendant l’année, vont inciter les autres à vouloir venir faire le DU de Nîmes. Leur vécu, il n’y a qu’eux qui peuvent en parler. J’ai aussi envie, pour ceux qui ensuite s’installent, de mettre en place une communauté de pratique. Ils peuvent avoir des compétences que je n’ai pas mais qu’ils peuvent me transmettre. Je peux avoir de l’influence sur eux, que je le veuille ou non. Cette influence peut retentir ensuite sur leurs clients, dans la communauté professionnelle. Ce n’est pas rien. Je pourrais mettre une distance façon frontière infranchissable. Vous êtes les étudiants, je suis le professeur et chacun sa place. Ma frontière est beaucoup plus molle, pénétrable, volontairement. Et je le signifie ainsi, en leur donnant ce surnom. Ils ne sont pas que des étudiants. Ils sont beaucoup plus que cela. En tout cas à mes yeux. J’y mets de l’affectif parce que c’est aussi mon mode de fonctionnement. Si je bloque cet affectif, je ne suis pas vrai. Je ne suis pas moi. Je joue un rôle. Et au bout d’un moment, cela sonne faux. Cet affectif que j’installe est vraisemblablement aussi une manière de cacher ma timidité. De cacher que je manque énormément de confiance en moi. De cacher que je suis quelqu’un d’extrêmement sensible et que, parfois, un Bernard L’Ermite à côté c’est courageux tellement je peux rentrer vite dans ma coquille en fonction de ce que je ressens. Ils ont, bien sûr, aussi le droit de ne pas vouloir adhérer à cela. A trouver que cela les infantilise. Ils ont le droit d’être contestataires, de revendiquer que ce surnom n’implique que moi et qu’ils ne se sentent pas concernés. Il n’y a aucune coercition de ma part. Et puis ce n’est pas forcément moi qui trouve les surnoms. Mes collègues (je pense notamment à Frédéric) peuvent s’y mettre aussi. Alors… Qu’en est-il réellement ? Comment le prennent-ils ? Les Charlie ont adopté ce nom. Ils se nomment ainsi. Je suis en train de corriger les mémoires de la première promotion à distance. Et, pas dans tous certes, je vois apparaître dans les remerciements le nom de « promotion Bataclan ». Le Fan-Club ? C’est Frédéric qui les a surnommés ainsi, en voyant leur comportement vis-à-vis de moi, notamment au cours des salons de Nîmes. C’est lui aussi qui a parlé le premier de Padawan à propos de Fabien. Les Bernard ? Ils savent bien à qui je fais référence mais non ils ne sont pas que cela. Bien évidemment que non. Ils sont mieux que cela, ils valent plus. J’ai d’excellents souvenirs avec eux, que ce soit un certain 14 février, lors d’une soirée moules-frites, ou pendant les recherches collectives aux Archives. Il n’y a que la première promotion que j’ai nommée en me servant de leur recherche collective. Mon galop d’essai. Il fallait que je m’habitue à ce type de rapports, inconnus alors pour moi. Et la promotion actuelle ? Je ne sais pas. Je verrais une fois leur diplôme obtenu ce qu’il reste vraiment en termes de relations et si elle a pris à son compte le surnom que je leur ai donné. Mais dans tous les cas, affinités ou pas, acceptations ou pas, je reste leur professeur.