J’ai posé la question à ma promotion Charlie : Être Charlie, pour un généalogiste, cela veut dire quoi ? Vous mettez quels mots derrière ? Tous ne m’ont pas encore répondu. Je me suis dit alors qu’il fallait aussi que j’y mette les miens. Être Charlie, pour moi, c’est être aussi et d’abord les victimes de l’Hyper Cacher. Pour qu’elles ne soient pas cachées par les autres, plus médiatiques ou plus médiatisées. Elles ne faisaient pas de caricatures. Elles n’étaient pas policières. Elles ont été ciblées à cause de leur appartenance à une religion, avant le shabbat. Être Charlie, c’est donc pour moi être Yoav Hattab. Il faisait partie des personnes qui étaient en sécurité dans les chambres froides. Quand il a appris que deux femmes étaient menacées par le terroriste, il est remonté. Il a vu l’arme posée par le terroriste. Il l’a saisie sans savoir qu’elle était enrayée. Cet acte de bravoure lui a coûté la vie. Le terroriste savait que l’arme était enrayée, que Yoav ne pourrait rien lui faire. Aucun mal. Il pouvait le désarmer, il a préféré l’assassiner. Être Charlie, c’est donc pour moi être Yohan Cohen. Il a protégé semble-t-il un enfant. Il a agonisé une demi-heure avant de décéder, faute de soins, après que les otages aient refusé que le terroriste l’achève. J’espère, si j’avais été à la place des otages, que, malgré le danger, j’aurais eu la force d’aller vers lui, lui tenir la main, la tête, lui parler doucement, faute de mieux. Être Charlie, c’est donc pour moi être Philippe Braham, abattu alors qu’il payait ses courses. C’est enfin être François-Michel Saada, abattu dans le dos alors qu’il sortait du magasin. Être Charlie, pour moi, généalogiste certes mais aussi citoyen, Français, c’est être eux. Être là pour eux, pour leur mémoire. C’est être dans la compassion. Pour eux. Pour leurs familles en deuil. C’est être fier de leurs vies et de leur bravoure. En tant que généalogiste, c’est être tout autant dans l’amour et la fierté quand je sors de la glaise de l’oubli la vie des ancêtres de mes clients. Être dans l’amour et la fierté quand je leur communique le résultat de mes recherches. Entendre leur joie. Être en communion, être en empathie avec eux tout comme nous l’étions tous le 11 janvier 2015, mais à un degré immensément fois plus important bien évidemment ce jour-là. Les deux ne se comparent pas. Mais simplement, au quotidien, essayer de garder cela en moi. Être Charlie, c’est être dans le respect. Trublion ? Grande gueule ? Irrévérencieux ? Oui ! Mais dans le respect. Toujours ! Être Charlie c’est être dans la bienveillance. Parce que, même s’ils tapaient sur tout le monde, je n’ai jamais ressenti de la part des Charlie de la méchanceté. L’humour était leur arme, l’est toujours pour les survivants, afin de faire passer un message. Être acerbe mais pas méchant. Et si d’aucuns ont pu penser qu’ils le sont, ce n’est pas de la vraie méchanceté, celle qui fait mal et qui détruit à jamais. Du moins si on accepte de ne pas s’arrêter au premier degré. Car être Charlie c’est aussi faire réfléchir. C’est ce que j’essaie de faire avec mes étudiants. Je leur transmets certes un savoir mais je les fais aussi se poser les bonnes questions, notamment à ceux qui veulent devenir professionnels. Devenir un petit objet dans leur esprit qu’ils vont, j’espère, transformer un jour en perle. Alors certes, comme ils me l’ont déjà tous écrit, être Charlie c’est la tolérance et la liberté d’expression. C’est un petit bout de démocratie. Mais pour moi ce n’est pas que cela. Être Charlie c’est d’abord et avant tout être un humain.