J’avais déjà commencé à rédiger sur ce thème dans ma réponse à René Borg. Mais le fait qu’à partir de janvier, je vais donner des cours de généalogie à l’Université de Nîmes dans le cadre de leur diplôme, m’incite à poursuivre plus loin ma réflexion, toujours en m’appuyant sur l’ouvrage de Dominique Foray portant sur l’économie de la connaissance. Transmettre le savoir peut se faire selon trois possibilités : La démonstration : elle s’utilise dans le cadre de la relation maître à apprenti. La transmission se fait par le geste et la parole. La codification ou le passage au support papier. Cela implique un langage adapté, une modélisation du savoir tacite que l’on veut transmettre. L’enregistrement audiovisuel de la connaissance en action. Elle peut alors être analysée, scrutée. Cela permet la mémorisation et l’analyse des connaissances mobilisées au cours de ces actions. Restons dans l’actualité : c’est ce que font nos joueurs de rugby quand ils regardent les matches de leurs adversaires ou qu’ils revoient les leurs pour comprendre où sont leurs failles. Dans tous les cas, nous sommes dans une connaissance tacite, du moins au départ. Cette connaissance est entre les mains de celui qui la possède. Sa transmission et sa valorisation dépendent de son bon vouloir. Cela exige son implication volontaire, délibérée. Mais il y a des risques de désinvention qui sont grands. La désinvention c’est l’oubli au cours du temps de la façon dont une technique doit être mise en oeuvre. Vous avez déjà entendu l’expression : c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas. Désolé de vous le dire ! Le vélo, si on n’en fait pas, cela s’oublie. La codification mutile nos connaissances. Ce qui est écrit est juste un programme d’apprentissage, pas ce que la personne connaît en totalité. Dans certains cas, ce programme est complet. Dans d’autres il est très insuffisant, voire complètement et totalement inutile, et seuls l’entraînement, l’exercice, la simulation permettent d’apprendre correctement. Mais la codification permet aussi la création de nouveaux savoirs, impensables quand la connaissance n’appartient qu’à une seule et unique personne. Son inscription rend possible le fait d’examiner autrement, de réarranger, d’isoler des éléments, de combiner, de classer. On trie, on traite l’information différemment. De nouveaux objets apparaissent : liste, tableau, formule, réseau arborescent et j’en passe. Revenons à la généalogie. Depuis les années 1990, fleurissent des ouvrages aux noms évocateurs : La généalogie facile, ABC de la généalogie, ABCdaire de la généalogie, La généalogie mode d’emploi, s’initier à la généalogie sur Internet, Comment résoudre les blocages en généalogie, Réussir sa généalogie…. Je dois en oublier. Mais là, nous sommes bien en plein dans la codification. Et vraisemblablement, parce qu’ils se doivent d’être pédagogiques et non des ouvrages savants, universitaires, parce qu’ils s’adressent à un public de novices au départ, le savoir de leurs auteurs est forcément mais volontairement mutilé. De même, nous sommes dans la codification quand vous lisez les deux plus anciennes revues de généalogie : RFG et Gé-Mag. Ou la plus récente : Votre Généalogie. La différence ? La taille du savoir transmis à chaque fois. Les cours de Nîmes, ceux donnés auparavant dans le cadre de cercles ou par les Archives Départementales sont dans la démonstration. Nous sommes dans le face à face. La mise en ligne des arbres sur des sites comme Généanet ? Généawiki ? Les blogs ? Codification. Les émissions de radio, de télé ? Si nous ne sommes pas dans l’enregistrement audiovisuel, dans quoi sommes-nous ? Mais on pourrait tout aussi bien imaginer un généalogiste qui filme ses recherches en permanence et les diffuse sur Youtube. Même combat ! Et tout cela a permis la création de nouveaux savoirs : les logiciels de généalogie par exemple. Impensables si au préalable on n’a rien mis sur le papier. Ce sont aussi les études des sociologues, historiens et anthropologues sur les pratiques des généalogistes. Ou l’enquête des 3000 familles du professeur Dupâquier il y a quelques années déjà. Quand je vous disais que nous sommes en train de révolutionner la généalogie !