Les légendes familiales sont parfois tenaces. Et il faut aussi parfois louvoyer avec celles-ci pour ne pas détruire le fragile équilibre qu’elles ont pu construire. Il y a quelques années, une de mes clientes m’avait demandé de lui faire une recherche. Tous les ans, en été, sa famille se réunissait pour fêter la mort de deux ancêtres fondateurs, un couple décédé guillotiné pendant la Révolution Française. Grande messe avec l’évêque, discours du maire, plaque au nom des ancêtres fondateurs dans le cimetière avec dépôt de gerbe chaque année, grand raout. Bref, vous voyez le genre. Seul problème: personne ne connaissait vraiment la date exacte des décès des guillotinés. Ce que ma cliente me demanda de rechercher. La réponse ne fut pas celle qu’elle attendait. Je commence par rechercher dans la série L, la série révolutionnaire. Je trouve l’arrestation du couple avec toute l’explication concernant cette arrestation. Photos comme elle me l’avait demandé, transcription intégrale. Jusque là tout va bien. Je continue mes recherches. Pas de trace de guillotinage pour ce couple. Je regarde dans le département limitrophe (ils sont à la frontière), rien non plus. Je cherche dans les listes des guillotinés. Rien. Je regarde les décès après leur arrestation. Rien. Je subodore qu’il y a anguille sous roche. Tant qu’à avoir les décès de la commune, je continue. Je finirais bien par les retrouver. Bingo ! Il décède en 1850, elle décède en 1854. Oups ! Pour des guillotinés de la Révolution Française, c’est gênant. C’est un peu tardif. Et comment je vais annoncer cela à ma cliente ? J’y vais avec des pincettes. Expliquant toute ma démarche. Et là, elle me dit que, bon, on va rien dire. Elle s’en doutait mais on va rien dire. A personne de la famille. Surtout pas. Ce sera son secret. Chut ! Ce serait bête de ne pas profiter des fêtes organisées chaque année aux frais de la municipalité. Alors chut ! Je ne sais pas si sa réaction est très morale. Mais j’ai bien aimé celle-ci.