Dans le cadre du diplôme de responsable de formation que j’ai passé cette année, je me suis interrogé à un moment donné sur la notion de la fermeture du territoire professionnel. Je me demandais en effet quelle était la meilleure définition de la profession et aussi pourquoi, depuis 10 ans que le diplôme de Nîmes existe, nous n’avions pas vu de généalogistes installés depuis longtemps venir suivre la formation alors que nous proposons des UE qui nous semblaient intéressantes pour des professionnels. Voici ce qu’il est ressorti de mes lectures et de mes réflexions.

Il existe au moins trois manières de fermer le territoire professionnel :

  • En imposant des certifications d’excellence ou des quotas,
  • En créant des solidarités,
  • En empêchant la concurrence (ainsi la carte d’identité professionnelle).

Les représentants d’une profession peuvent difficilement défendre de façon unitaire une conception du travail et un statut tendant à protéger la pratique des membres de la profession, tous n’adhérant pas forcément à cette conception du travail. Auparavant, ils doivent unifier le groupe et donc chercher à construire des intérêts communs. Toute demande de protection faite au nom de la profession dans son ensemble est ainsi le résultat d’un travail de représentation de l’ensemble de la profession par une partie seulement dont les intérêts peuvent diverger assez significativement de ceux d’autres segments.

Magali Larson a produit la théorie sociologique la plus élaborée du processus par lequel une profession obtient la clôture de son marché contre la concurrence extra-professionnelle. La notion de projet professionnel (ou projet collectif de mobilité) joue une rôle clé dans cette théorie. Pour obtenir la fermeture de son marché, une profession s’unifie autour d’un projet commun visant à faire reconnaître la qualité du travail de ses membres et à leur assurer une position élevée dans la stratification sociale. Ne pouvant contrôler la qualité de la production, portant sur des services, les professions travaillent au contrôle de la production en standardisant le savoir professionnel : mise en place d’un système de formation, sélection des professionnels.

Ce contexte d’évolution économique bouleversant la stratification sociale est appelé par Karl Polanyi le désencastrement de l’économie par rapport aux sphères religieuses et politiques de l’activité. Trois dimensions :

  • La construction de marchés nationaux unifiés.
  • L’autonomisation des échanges se conformant de plus en plus à la loi de l’offre et de la demande.
  • L’extension de la logique marchande à de nouvelles activités.

Dans le monde économique en cours de formation, la position des segments professionnels les plus élevés socialement est menacée. Les anciennes élites sont soumises à une offensive de membres de la profession occupant des positions moins prestigieuses et à l’origine du projet professionnel ayant débouché sur la clôture du marché. Le marché est en premier lieu le moteur de la mobilisation collective. Il s’agit d’en modifier le fonctionnement pour protéger une position sociale ancienne par la professionnalisation. Le projet professionnel sert avant tout à certains professionnels de s’élever socialement et à en protéger d’autres du déclassement. La standardisation du savoir se fait au détriment des identités individuelles dont les savoirs et savoir-faire constitués lors d’expériences particulières sont délégitimées.

La clôture du marché fournit des avantages symboliques. Ce prestige constitue la première motivation des individus ralliant le projet et devant se soumettre aux contrôles de la profession avant que celle-ci puisse leur offrir en retour une protection efficace et les avantages économiques l’accompagnant.

Catherine Paradeise part de la thèse de Polanyi sur l’instauration de la liberté du travail. Elle insiste de plus sur le fait que des tendances légales, loin de constituer des aberrations du fonctionnement des marchés, existent dans les activités les plus diverses. La clôture des marchés protège les travailleurs de la concurrence extérieure.

Comme les économistes Peter Doeringer et Michael Piore l’ont montré, les occasions de promotion offertes par les marchés internes aux entreprises contribuent à stabiliser la main d’œuvre.

Catherine Paradeise explique la clôture du marché par la volonté de protéger l’entreprise ou la société du risque de comportements déloyaux de la part de la main d’œuvre qualifiée. Cet argument n’est toutefois pas transférable aux professions libérales. Dans de nombreux cas, le monopole obtenu par une profession libérale protège de la concurrence extérieure mais sans instaurer de règles bureaucratiques de progressions de carrières similaires à celles caractérisant les marchés internes. Ce qui rend possible des situations économiques très difficiles. Pour qu’un monopole s’accompagne de bénéfices économiques tangibles, il faut une régulation de la démographie professionnelle.