Si la généalogie est quelque chose de sérieux, cela ne veut pas dire que ce doit être quelque chose de triste pour autant. Alors, en cette période de Noël, je me suis dit que vous parler du nadalet occitan était tout indiqué. Pour cela, je me suis dit que passer par la voix d’une Soeur Bleue de Castres était la voix normale. Je l’ai appelée Soeur Tarsicie du Tabernacle entrouvert. Mais qu’est-ce qu’une Soeur Bleue de Castres, me demanderez-vous ? Et pourquoi cette congrégation plutôt qu’une autre ? Sainte Jeanne Émilie de Villeneuve fonde à Castres, en collaboration avec deux compagnes, la congrégation de Notre Dame de l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1836 : une communauté religieuse connue rapidement sous le nom de “Sœurs Bleues de Castres” en raison de la couleur de leur habit. Dans l’anonymat d’une maison de Castres d’abord, elles servent les plus démunis : les jeunes ouvrières, les malades, les prostituées, les condamnés en prison. Leur fondatrice en effet veut avoir avec eux une relation d’égal à égal, leur rendre leur dignité d’être humains, à l’exemple de Jésus. Toutes les communautés auront désormais cette triple vocation de l’éducation des enfants, du catéchisme et du soin des malades. si les Sœurs Bleues servent « Dieu seul », c’est dans la rencontre avec les pauvres qu’elles sont à son service. Dans l’esprit même de leur fondatrice, en s’attachant à rechercher Dieu en toutes choses, elles sont donc envoyées dans les lieux de pauvreté. Noël étant un moment particulier pour les enfants, il m’a semblé évident de passer par cette voix, plutôt que par une voix laïque. Alors asseyons-nous et écoutons Soeur Tarsicie du Tabernacle entrouvert nous parler : » Le Nadalet, terme occitan que l’on pourrait traduire littéralement par « Petit Noël », est une très ancienne tradition méridionale, remontant au XVIème siècle, qui consiste à sonner quotidiennement les cloches durant les jours précédant Noël. On trouve également d’autres appellations comme Gaudinas à Soual (commune toute proche de Castres) ou Gaudetas dans le Lauragais, à rapprocher de l’article occitan « gaudi, ia » qui signifie joyeux, et encore Aubetas en Ariège et dans le Bigorre. Cette façon de sonner les cloches se pratiquait tous les soirs à la tombée de la nuit, à partir du 17 décembre (parfois du 13 décembre) jusqu’à la veille de Noël, et chaque carillonneur sonnait en fonction du nombre de cloches qu’il avait à sa disposition, souvent deux ou trois, rarement plus. Il se faisait aider par les jeunes du lieu qui se retrouvaient au clocher dans la joie et la bonne humeur. A Castres, là où vivaient les Soeurs Bleues, le Nadalet se déroule ainsi du 17 au 23 décembre : Toutes les cloches de la ville sont lancées à la volée et cette sonnerie grandiose, connue sous le nom de grand balandran, dure environ un quart d’heure, puis cesse lentement. Pourquoi ce nom de « balandran » ? C’est l’occitan qui nous donne la réponse. Balandran a deux significations. La première nous dit que c’est un grand manteau d’étoffe, une robe de capucin, un froc, un dadais. Et de là vient le mot « balandrana » qui un grand manteau de berger, comme ceux venant pour la naissance du Christ. Dans ce sens, on peut dire que le son des cloches enveloppe toute la ville et la protège comme le fait un manteau. La deuxième signification nous vient du verbe occitan « balandrar » qui veut dire balancer mais aussi brimbaler ou flâner. Le balandran est alors le branle des cloches. Cela emplie la ville. Le son court de rue en rue, percutant les murs.Tout le monde s’arrête et écoute : Il est annonciateur de la Bonne Nouvelle. Puis, seule la grande cloche de Notre Dame de la Platé continue sa volée solitaire. Le carillonneur la balance à la corde tout en gravissant les 120 marches du clocher. Une lumière y brille tout en haut, au niveau du carillon. Arrivé juste sous cette cloche de 600 Kg qui balance bruyamment au-dessus de sa tête, il commence à ralentir la course de son bronze en retenant la corde lorsqu’elle remonte, mais en lui donnant une impulsion lorsque celle-ci redescend, de façon à ne faire frapper le battant que sur un seul côté du vase sonore, en fin de volée, et ce, 9 fois de suite pour symboliser les 3 fois 3 coups qui doivent être tintés pour l’Angélus. Il doit arrêter la cloche aussitôt après ces 9 coups. Elle continue alors à vibrer longuement et, dans le silence retrouvé, le carillonneur s’installe devant le grand clavier de bois du carillon. Après avoir enfilé des gantelets de grosse toile qui lui protégeront les doigts et les poings, il commence à faire chanter les vieux chants de Noël sur son carillon dans la nuit froide de décembre… Les Castrais se rapprochent , petit à petit, rentrent dans l’église. Les hommes enlèvent le chapeau, hommes et femmes se signent dans une génuflexion. Tout le monde s’installe et écoute les notes voler tout le long de la nef. A la fin, un vin chaud est offert à tous. On peut voir une corrélation entre cette pratique et les Grandes Antiennes chantées à la fin du temps de l’Avent, qui commencent toutes en latin par O : O Sapientia,O Adonai, O Rádix, O Clavis, O Oriens, O Rex, O Emmanuel… Ces sonneries seraient en effet le reflet sonore, puisque leur calendrier se calque exactement sur celui de ces chants. Les Grandes Antiennes de l’Avent ? C’est un mot qui vient du grec et qui veut dire « chant alternatif ». Deux groupes de chanteurs qui se répondent. A Réquista, dans l’Aveyron, dans l’immense église si vide de toute décoration qu’on en dirait un temple protestant, le jour de Noël, il faut entendre la dernière Antienne, profane : Le Nadalet de Paul Bonnefous. Un chant où se répondent les pastourels (les hommes) et l’Ange (les femmes). » Cette tradition, encore bien vivante jusqu’au milieu du XXème siècle, s’est peu à peu perdue et a pratiquement disparu avec l’électrification des sonneries de cloches qui a remplacé progressivement les carillonneurs.