Etre généalogiste professionnel c’est un métier passion. D’une certaine manière on peut dire que c’est une vocation. Mais cela veut dire quoi en fait ? Les individus qui adhèrent à leur condition professionnelle sur le mode de la vocation, nous disent les sociologues, mobilisent souvent le vocabulaire de la passion, du talent, du don pour l’évoquer ou la raconter. Vous avez déjà entendu un généalogiste parler passionnément de son loisir. Alors imaginez ce que peut dire quelqu’un qui y consacre toute sa vie professionnelle. Cette activité est présentée souvent sur le registre du « J’étais fait pour ça » ou du « Je ne me voyais pas faire autre chose », quelque chose de non explicable, non questionnable. Selon Charles Suaud, la vocation est la réalisation d’un destin d’exception, fondé sur la reconnaissance d’aptitudes individuelles, réclamant un investissement total de l’individu. Cela nécessite de posséder une marque symbolique, requise pour être reconnu socialement apte à entreprendre, avec toutes les chances de succès, un apprentissage plus ou moins long dans une école spécialisée afin d’être transformé à la fin.

Essayons alors de prendre du recul. Est-il possible de contextualiser les vécus et les discours relatifs à ceux-ci afin de leur donner de l’épaisseur ? Peut-on s’interroger sur l’idée de désintéressement qui semble inhérent à cette activité passion, à cette vocation qu’est la généalogie ?

 

Mais existe-t-il une ou des vocations ? En fait, les sociologues en ont repéré plusieurs types :

  • L’engagement vocationnel par élection instituée: La désignation de l’élu est le fait d’une sélection explicite effectuée par une institution porteuse d’une orthodoxie. C’est le cas par exemple pour l’Eglise ou l’Ecole. L’institution repère de futurs membres et, petit à petit, leur fait intérioriser cette carrière, grâce une formation puis à un rituel d’institution opérant un acte de consécration (l’agrégation ou la prise d’habit par exemple).
  • La réalisation symbolique d’un don personnel : la reconnaissance collective se fait alors a posteriori. Des instances officielles interviennent de manière différée donnant un avantage aux candidats qui sont socialement les mieux placés et culturellement les mieux dotés.
  • L’engagement par réalisation instituée d’un don naturel extraordinaire. C’est le cas par exemple des artistes.

 

Essayons de reprendre point par point. Juste en posant des questions. La vocation nécessite des dons qui soient accordés. Oui mais par qui ? Dieu (pour la vocation religieuse par exemple) ou une instance supérieure ? La génétique ? Le hasard ? Le candidat à la vocation est appelé par une hiérarchie locale. Oui mais laquelle ? La famille ? L’éducation ? Si intérioriser le message permet une fonction d’intégration, n’est-ce pas aussi une technique symbolique d’exclusion ? Le candidat est choisi et va jusqu’au bout…ou pas. Qui décide et sur quels critères ?

 

L’école est souvent le moyen le plus puissant pour contrôler le recrutement et la formation. Que ce soit dans le domaine de la généalogie ou ailleurs. Elle accrédite l’assurance de la compétence personnelle de ceux qu’elle a sélectionnés et par ce biais évite un afflux excessif de personnes sur le marché. Ce temps de formation est plus ou moins long. Par cet intermédiaire, les personnes qui ont la vocation possèdent le monopole des savoirs, savoir-faire et savoir-dire. Cela va rendre plus efficace le processus de reproduction. Sachant qu’au niveau de la généalogie professionnelle, il existe plusieurs écoles : une « officielle » comme l’université, d’autres qui sont privées, l’école de l’expérience. Et du coup, cela crée des difficultés car pour le moment, personne ne sait laquelle prime sur les autres tant qu’aucune réglementation officielle ne vient en donner la hiérarchie. Nous avons donc des défenses de prés carrés. Ce qui ne facilite pas la reconnaissance de ceux qui ont la vocation.

 

De ce fait, le généalogiste, tout comme le prêtre ou l’artiste soit disant maudit, est-il un « sacrifié » ? Ce sort qui lui est réservé est-il un sort exceptionnel ? Les croyances par exemple relatives à l’artiste maudit sont entretenues par tous les éléments de culture populaire auxquels nous sommes exposés au quotidien et ce depuis 1851 quand Henry Murger écrit ses Scènes de la vie bohême. Voire même avant si on considère Rousseau et ses refus de pension royale ou ses refus des cadeaux du prince de Conti pour vivre uniquement grâce à sa vocation. C’est dire si ça date ! Je vous parle de l’artiste, je pourrais vous parler de même du prêtre. Ou du généalogiste. Plus je lis à ce sujet, plus j’arrive à faire des corrélations. Même s’il faut voir parfois au-delà des mots.

 

Pendant une vingtaine d’ans environ (on va dire de notre entrée au CP à la fin de nos études), l’ensemble de la société (l’école, nos parents, la société de consommation, la publicité, ne rayez aucune mention inutile) nous inculque que le plus important dans la vie c’est d’obtenir un diplôme puis de trouver un emploi stable (en traversant la rue si possible pour éviter de coûter à la société un pognon de dingue). Ne me dites pas le contraire, vous y avez eu droit vous aussi ! La vie d’artiste ne rentre pas dans ce cadre. Ce n’est pas la norme. Ceux qui suivent cette voie sont donc forcément des marginaux. « Être un artiste est toujours un plan B, un échec ». Il en est presque de même pour le généalogiste. Le nombre de fois où l’amour de ma vie, depuis 17 ans que nous sommes ensemble, m’a demandé de rentrer dans la norme et de trouver un « vrai » travail comme devenir professeur d’histoire-géographie, je ne les compte plus. Pour lui, et il n’est pas le seul à me le dire, être généalogiste professionnel, ce n’est pas un « vrai » travail. Une passion. Un passe-temps. Oui. Mais un travail ! M’enfin ! Voyons ! Ben si ! Désolé ! Le nombre de fois où j’ai entendu, après avoir dit que j’étais généalogiste professionnel : « Et dans la vie sinon, vous faites quoi ? ». Euh… Comment dire ? Qu’est-ce vous n’avez pas compris dans « professionnel » ?

 

N’est-ce pas dû au fait que nous renvoyons, nous aussi, une mauvaise image de nous-même ? Le nombre de fois où j’ai entendu des généalogistes familiaux dire « de toutes façons, notre travail ne paie pas, on n’en vit pas », je ne les compte plus non plus. Oh ! Les mecs ! Et si on commençait par réfléchir à l’image qu’on renvoie de nous-mêmes afin de renvoyer la véritable ? Le nombre de fois aussi où j’ai entendu ce lapsus en entendant des familiaux qui se présentent ainsi : « dans la généalogie, il y a nous et puis il y a les professionnels… Euh… Pardon ! Je voulais dire les successoraux. » Raté ! Le lapsus est fait !

 

Bref… Pourquoi choisissons-nous à un moment donné de notre vie ce métier ? A quel « appel » répondons-nous ? Pour le moment, c’est difficile à dire. Mais de ce que je connais, il semble bel et bien exister.