Connaissez-vous la comtesse Herminie-Raymonde de Toulouse-Lautrec ? Certainement pas, je pense. Pourtant, sa vie mérite à être connue. Née le 2 décembre 1888 à Pyatigorsk, en Russie, elle est la fille d’Alexandre de Toulouse-Lautrec, général de cavalerie de Nicolas II, et d’Emma de Baum.
1917 : il ne fait pas bon d’être du côté du Tsar. Herminie-Raymonde fuit comme deux millions de Russes environ, contraints à l’exil au lendemain de la révolution d’octobre. Un quart a rejoint la France. En 1923, elle est à Monte-Carlo puis à Menton. En 1924, la voici à Nice. Quand est-elle partie ? Par où est-elle passée ? Fait-elle partie de ces Russes parqués de 1919 à 1922 dans les campements de l’Empire ottoman avant de continuer leur route muni du « passeport Nansen » mettant fin au vide juridique de ces apatrides ? Est-elle retournée dans son Caucase natal avant de partir ? Pour le moment, rien ne permet de le savoir.
Nice et les Russes, c’est une longue histoire d’amour :
En 1749, un Niçois, Jean-Michel Auda devient conseiller de commerce en Russie. Un Consulat russe se crée alors dans sa ville natale. Jean-Michel Auda se lie d’amitié avec Alexis Orlov.
En 1770, la flotte impériale russe fait escale dans la rade de Villefranche sous le commandement dudit Alexis Orlov.
En 1800, un autre Niçois, Alexandre Michaud, devient aide de camp du Tsar Paul 1er puis général d’Alexandre 1er. Il use alors de son influence pour la restitution du Comté de Nice à la Maison de Savoie.
En 1857, le Duc de Savoie donne un droit d’escale permanent à la flotte russe dans la rade de Villefranche. Lors du rattachement définitif du Comté de Nice à la France en 1860, Napoléon III confirme la base russe qui fonctionne jusqu’en 1870.
Les membres de la famille impériale ont en outre l’habitude de passer l’hiver depuis la tsarine Alexandra Feodorovna, veuve de Nicolas 1er. En 1859, un tiers des familles étrangères vivant à Nice est d’ailleurs d’origine russe. En 1865, Nicolas, fils d’Alexandre II y décède à l’âge de 20 ans d’une méningite. Cette longue présence a donné un héritage architectural assez exceptionnel dont la cathédrale orthodoxe, la plus belle hors de Russie.
Herminie-Raymonde est donc en pays conquis. Elle loge dans un hôtel des environs de la gare, avenue de la Victoire, hôtel tenu par Monsieur et Madame Luciani. Un jour, Madame Luciani se rend compte que les draps de lit déposés dans une pièce du premier étage ont disparu. Qui donc les lui a volé ? Bien évidemment, ce ne peut être que les femmes de chambre. Qui d’autre ? Elle compte donc scrupuleusement le linge qu’elle leur remet et exerce sur elles une surveillance très sévère. Mais… Rien. Qui cela peut-il donc bien être ?
Elle donne donc un jour de congé exceptionnel à tout son personnel pour se cacher sans être dérangée dans une pièce voisine de la lingerie. Et attend. C’est là qu’elle découvre que la voleuse n’est autre que la comtesse Herminie-Raymonde de Toulouse-Lautrec, qu’elle loge. Choquée de cette découverte, elle porte plainte contre elle. Nous sommes fin juillet 1924.
Une fois arrêtée, la comtesse avoue avoir volé 40 draps qu’elle a engagé chez Ma Tante. Lors de l’enquête, on trouve bien que les draps sont entrés mais ils n’y sont plus. Quelqu’un les a récupérés ! Qui ? Mystère. Où sont les reconnaissances de dépôt ? La comtesse les a détruites. Elle est alors déférée au Parquet et condamnée le 28 août 1924 à quatre mois de prison par le tribunal correctionnel de Nice.
Bien évidemment, tout cela a fait les gorges chaudes de la presse. On interroge le comte Robert de Toulouse-Lautrec au sujet d’Herminie-Raymonde. Son épouse et lui disent qu’ils ne sont en rien apparentés. Pourtant, des années auparavant, Marie et Sérafine de Toulouse-Lautrec, cousines d’Herminie-Raymonde, avaient entretenu une correspondance suivie avec Odon, le père de Robert. Et ils se traitaient de cousin. Ont-ils oublié cette parenté volontairement pour que leur honneur ne soit pas sali par un vol et un emprisonnement ? Sans doute.