Le 16 janvier 1656 devant Me Abel Galibert, notaire de Castres, François de Montesquiou Sainte Colombe, fils de Bernard-Antoine de Montesquiou Sainte Colombe et de Catherine de Séverac, passe un contrat de mariage avec Louise de Toulouse-Lautrec, fille aînée de Bernard de Toulouse-Lautrec, vicomte de Lautrec, baron de Montfa, Eygars, Lagriffoul et Veyne en Dauphiné, et de Marguerite de Vitrolles.

 

Le contrat est à mes yeux particulièrement intéressant. Pourquoi ? Laissez-moi vous expliquer.

 

1/La seigneurie d’Eygars :

Bernard de Toulouse-Lautrec donne en dot à sa fille, pour la somme de 3 000 livres tournois, la place et co-seigneurie d’Eygars consistant en justice haute, moyenne et basse avec château, bâtiments, jardins, vignes, prés, bois, pigeonniers, moulin à vent, forge, tuilerie et moulin pastelier situés aux consulats d’Eygars, Saint-Perdoul.

 

Dans cette seigneurie se trouvent aussi :

  • Sept métairies appelées En Fraissines, Le Moroul, En Salavert, Lorthe, En Rigal, En Roze et La Baudiguié.
  • une petite maison située à En Jalabert.
  • une petite maison située à En Selme.
  • la rente foncière du lieu appelé En Bouriac.
  • Tout ce que Bernard Escale jouit en afferme, sans que ce soit précisé de quoi il s’agit.

 

Le vicomte de Toulouse-Lautrec entretiendra et nourrira la première année les mariés.  Les cabaux, c’est-à-dire les baux de location d’animaux et d’ustensiles agraires, les meubles et la vaisselle vinaire qui se trouvent dans toutes les métairies et maisons seront estimés dans un mois.

 

Alexandre de Toulouse-Lautrec, émancipé par son père ainsi qu’il est dit dans l’acte fait et passé le 5 janvier 1656 devant Monsieur de Bataille, conseiller et procureur du Roi en la cour royale et ordinaire de Castres, frère de la fiancée, renonce de son côté à tout droit qu’il pourrait prétendre sur cette seigneurie.

 

Je vous passe les autres dons à la fiancée car c’est cette seigneurie qui est importante.

 

Bernard de Toulouse-Lautrec apporte en effet une précision. Et de taille : Cette seigneurie est de plus grande valeur que la dot qu’il veut donner à sa fille. De ce fait, il demande à ce que le fiancé lui rembourse  la somme de 14 000 livres tournois : 13 000 livres ce jour et pour les 1 000 livres restantes, le vicomte prendra la première récolte de tous les biens donnés.

 

13 000 livres payées ce jour… 13 000 livres payées ce jour.. .Oui mais… Voilà … Comment ? Certes Bernard-Antoine de Montesquiou Sainte Colombe donne au fiancé 20 000 livres tournois de dot mais elles sont plutôt théoriques qu’autre chose : 12 000 livres de droit de légitime sur les biens paternels et maternels, 8 000 livres de préciput. Bernard de Toulouse-Lautrec exige des espèces sonnantes et trébuchantes.

 

Il faut donc aller chercher des rentes :

 

Une première de 10 000 livres datée du 27 avril 1656, venant du chapitre Saint Etienne de la ville de Toulouse. Le contrat nous explique d’où elle vient. Le 27 avril 1652, un contrat est passé devant Me Hugues Brassac, notaire de Toulouse, entre le chapitre Saint Etienne de Toulouse et Jean de Bernuy, chevalier de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, baillif de L’Aigle, commandeur des commanderies de Saint Aularie, Saint Thomas de Trinquetaille, comte de Condat. Jean de Bernuy la cède le 14 février 1654 devant Me Antoine Lugan, notaire de Serviès, au sieur Pierre de Castelnau. Ce dernier enfin la donne à Bernard-Antoine de Montesquiou Sainte Colombe quand Marguerite de Castelnau sa fille épouse Alexandre de Montesquiou Sainte Colombe le 15 février 1654 toujours devant Me Antoine Lugan.  OUF ! plus que 3 000 livres à aller chercher.

 

En voici une deuxième de 1 000 livres en date du 23 mai 1656 sur la communauté de Lavaur. Elle a été reçue par Me Louis Adenet, notaire de Toulouse, au profit d’Antoine Valette, noble et bourgeois de la ville. Ce dernier la cède à Pierre de Peytes, seigneur de Montcabril et ce dernier au sieur de Castelnau par un contrat daté du 11 février 1654 devant Me Lunel, notaire aussi de Toulouse. Et de deux !

 

Et enfin, 2 000 livres le 20 avril 1656 du noble sieur Lafont, bourgeois de Toulouse, et Jean Trebosc qui la lui doivent selon contrat du 20 avril 1646 reçu par Me Lechadevet, notaire de Toulouse, au profit d’Antoine Valette. Là encore ce dernier la cède à Pierre de Peytes qui la revend le 2 juin 1655 devant Me Jean Berenguier, notaire de Pugnères, au sieur de Castelnau.  Et enfin devant Me Guillaume Lacombe, notaire de Toulouse, le 8 janvier 1656 Bernard-Antoine de Montesquiou Sainte Colombe la rachète.

 

Et voilà les 13 000 livres tournois exigées par Bernard de Toulouse-Lautrec.

 

2/la succession des mariés :

 

A la fin du contrat, les fiancés prévoient leur succession pour la fin de leur vie. Qui va leur hériter et comment ?  Premier cas de figure : des enfants mâles naissent de leur union. Ils décident alors de donner la moitié de tous et chacun de leurs biens au premier enfant mâle non ecclésiastique.

 

Deuxième cas de figure :  il n’y aurait que des filles issues de leur union,  Louise de Toulouse-Lautrec décède avant lui, qui se remarie. De ce deuxième mariage imaginé, François de Montesquiou Sainte Colombe a plusieurs enfants mâles, la donation qu’ils prévoient alors le jour de leur mariage n’aura pas lieu en faveur de toutes leurs filles mais seulement en faveur de l’aînée. Cette dernière aura par préciput et avantage une légitime suivant la faculté des biens.

 

Enfin s »il n’y a aucun enfant, le père de la fiancée pourra récupérer les biens mais il devra rendre les sommes par lui reçues.

 

Je le trouve intéressant donc pour plusieurs raisons :

  • Le remboursement. Je veux donner 3 000 livres à ma fille mais la seigneurie fournie pour cela en vaut 17 000 livres donc tu me rembourses 14 000 livres.  Cela me donne l’impression que la jeune fille est vendue, façon marchands de tapis. Cela me laisse une mauvaise impression. Je sais bien que l’époque n’ait pas aux mariages d’amour mais là c’est quand même très visible. Non ?
  • La succession des mariés. Ils ne sont pas encore mariés. Aucun enfant n’est donc né. Peut-être ne se sont-ils même jamais rencontrés, leurs pères s’occupant de tout sans qu’ils aient droit à la parole. Et la succession est prévue dans tous les cas de figure. On voit bien que, par le deuxième cas, la mort de la mère est envisagée sans aucun problème. De même que le remariage du fiancé.  Comme quoi ce type de mort fait partie du quotidien.
  • L’historique des rentes. Si je travaillais sur la famille du fiancé, j’aurai différents actes avec les dates, les noms des parties et des notaires. C’est à mon goût assez exceptionnel d’avoir tout. Souvent, quand il y a des actes mentionnés dans un contrat, les parties oublient soit la date (ah ! le fameux « sous sa date » qui en horripile plus d’un) soit le nom du notaire (scrogneugneu de scrogneugneu, mais chez qui ils ont passé ce foutu acte dont j’ai la date ? Je vais devoir passer tous les notaires !).

 

Un long acte mais vraiment très intéressant !