Je viens de passer deux jours à donner de la formation à un bailleur, ancien syndic. Un de ses soucis ? La succession d’un corps abandonné. Ce qui m’a permis de savoir de quoi il s’agissait.

 

1/Définition d’un corps abandonné

 

La personne décède chez elle, seule. Les voisins appellent la police uniquement quand des odeurs suspectes commencent à se faire sentir. La porte est forcée par un serrurier ou une fenêtre est cassée par les pompiers pour pouvoir ouvrir de l’intérieur. Police et pompiers entrent et découvrent le corps. Qui peut être là depuis plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il est envoyé alors à l’Institut Médico-Légal pour qu’un expert puisse dire s’il s’agit d’une mort naturelle ou pas. Comme la plupart du temps, il s’agit d’une mort naturelle, il signe l’autorisation d’inhumer et l’envoie au Parquet. OK affaire classée ! Permis d’inhumer et direction le carré des indigents dans un cimetière. L’OPJ chargé de l’enquête décès conserve alors les clés de l’appartement.

 

Quand la personne décède à l’hôpital, ce dernier ne cherche pas forcément la famille du défunt et se contente de regarder ce qu’il y a dans les papiers qu’il a apporté avec lui. S’il ne trouve rien, le défunt peut être enterré au carré des indigents alors que la famille n’est pas toujours très loin géographiquement et peut être très choquée quand elle apprend le décès et où le corps a été enterré.

 

Parfois le corps est découvert dans un tel état de décomposition qu’il est impossible de déterminer le sexe et l’âge du défunt. Une enquête est de ce fait diligentée pour lui redonner son identité. L’acte de décès signale d’abord le fait que l’identité est indéterminée puis le Procureur fait une rectification quand elle est retrouvée et confirmée.

 

Dans tous les cas, la date de décès est la date de découverte du corps. Il est souvent impossible d’en dire plus sur la date exacte du décès.

 

Enterré au carré des indigents ne veut pas dire que la personne ne possède rien. Cela veut dire que personne n’est venu la reconnaître. Personne n’a réclamé sa dépouille.

 

2/Le carré des indigents 

 

Le Code Général des Collectivités Territoriales (ou CGCT), dans son article L. 2223-1, assigne aux communes l’obligation de prévoir un terrain consacré à l’inhumation des morts. Ce « terrain commun », autrefois nommé « carré des indigents », est constitué de fosses permettant l’inhumation gratuite des personnes ayant droit à une sépulture dans la commune (suivant l’article L. 2223-3 du CGCT, il s’agit des personnes décédées sur le territoire de la commune ; domiciliées dans la commune ; qui ont droit à une sépulture de famille dans cette commune ; aux Français de l’étranger inscrits sur les listes électorales de la commune).

 

Les sépultures en terrain commun se font pour un délai minimal de cinq ans, au terme duquel les communes peuvent ouvrir les fosses et reprendre les emplacements pour de nouvelles inhumations.

A l’heure actuelle, il s’agit donc d’un mode de sépulture qui est très rarement choisi par les familles, bien que cette possibilité leur soit ouverte par la loi, et qui n’est pas réservé aux personnes dépourvues de ressources suffisantes.

 

Toutefois, le régime de ces sépultures, différent de celui des concessions, doit être expliqué aux familles et bien maîtrisé par les communes, car celles-ci ne peuvent refuser une demande d’inhumation en terrain commun, dès lors que le défunt a bien droit à une inhumation sur le territoire de la commune. Dans ce cas, la sépulture est temporaire, mais gratuite, à l’exception de la perception éventuelle d’une taxe d’inhumation (qui doit être adoptée par le conseil municipal).

 

Le délai d’ouverture des fosses peut être étendu au-delà de cinq ans par les communes, au sein du règlement de cimetière. Toutefois, une sépulture en terrain commun demeure différente d’une concession, qui ne peut exister en-dehors de la passation d’un acte : le simple écoulement du temps ne peut transformer une sépulture en terrain commun en concession.

 

Cette impression est renforcée par le fait qu’une sépulture en terrain commun peut faire l’objet de la pose de signes distinctifs de sépulture voire d’une pierre sépulcrale (il n’est cependant pas possible d’y ériger des monuments funéraires, opération qui implique des travaux à la différence de la pose d’une pierre sépulcrale), suivant les dispositions de l’article L. 2223-12 du CGCT.

 

3/Que deviennent les corps ?

 

A l’échéance du délai de rotation prévu (cinq ans ou plus, suivant le règlement de cimetière en vigueur), les communes peuvent reprendre les sépultures en terrain commun, les restes mortels faisant ensuite l’objet d’une crémation en l’absence d’opposition « connue ou attestée » du défunt, ou transférés à l’ossuaire communal.

 

Cette reprise n’est soumise à aucune procédure particulière par le CGCT ; néanmoins, une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation a assimilé une telle reprise, sans formalité, à une violation de sépulture, ce qui est susceptible d’engager la responsabilité pénale du maire. La prise d’un arrêté du maire apparaît donc comme une exigence minimale à respecter par les communes avec publication en mairie et affichage sur la porte du cimetière.

 

En revanche, une notification aux ayants cause ne peut être exigée du maire, une telle formalité étant réservée par le CGCT à la reprise des concessions.

 

4/Le généalogiste et la succession des corps abandonnés :

 

Mon élève me présentait donc les dossiers de corps abandonnés qu’il avait. Parfois avec des successions de plusieurs millions d’euros. En tant que professionnel, je lui donnais les démarches à suivre avant que les Domaines ne préemptent les successions au bout d’un an. Dossier après dossier. Mécaniquement. Lecture de l’acte de décès et qui il fallait rechercher en priorité. Et pourquoi. Dossier suivant ! Lecture de l’acte de décès. Analyse de celui-ci. Qui il faut rechercher. Dossier suivant ! Lecture de l’acte de décès. Analyse de celui-ci. Qui il faut rechercher. Dossier suivant ! Et ainsi de suite.

 

En tant que professionnel. Mais en tant qu’humain ?  Lire tous ces actes identiques… Tous signés par un policier, celui qui est entré dans le domicile…Avec, parfois, le minimum de renseignements. Lire à chaque fois : « le corps a été découvert à son domicile. Il a été impossible de déterminer la date exacte du décès. » C’est… compliqué. Très compliqué. En tant qu’humain, je ne peux qu’éprouver de la compassion pour chacun d’eux. Je ne peux qu’avoir envie d’aller vers eux.

 

En lisant tous ces dossiers, je n’avais qu’une envie : engueuler tous ces voisins qui n’ont pas fait attention à la personne. Engueuler ces propriétaires qui, pour relouer leur bien le plus vite possible, au mépris de la loi, alors que la succession n’est pas établie ni réglée, ont tout jeté les concernant. Parce que cela arrive, il ne faut pas se leurrer.

 

5/l’exhumation :

 

Je  voudrais leur donner une vie. Leur permettre de reposer auprès des leurs. Le conseiller aux familles. Vous avez leur héritage ? Prenez-les avec vous, dans vos tombeaux. Ne les laissez pas là. Un peu de reconnaissance, que diantre ! Il est en effet possible de demander une exhumation pour déplacer le corps d’un cimetière à un autre, notamment si l’on peut prouver que les volontés du défunt n’ont pas été respectées ou pour rapprocher le défunt du lieu de résidence de sa famille.

 

Le plus proche parent du défunt peut demander au maire de la commune où l’exhumation doit avoir lieu celle-ci. A Paris, l’autorisation est délivrée par le Préfet de police. Elle peut être accordée quelle que soit la date du décès et de l’inhumation. Toutefois, si le défunt était atteint d’une maladie contagieuse au moment du décès, l’exhumation ne peut pas avoir lieu moins d’un an après le décès.

 

Le parent du défunt doit obligatoirement justifier :

  • de son état civil,
  • de son domicile,
  • de sa qualité de plus proche parent du défunt (père, mère veuf…).

 

L’exhumation est faite en présence d’un parent ou d’un mandataire de la famille.

Si le parent ou le mandataire choisi par la famille (autre membre de la famille, exécuteur testamentaire par exemple) dûment avisé n’est pas présent à l’heure indiquée, l’opération n’a pas lieu.

 

6/Eux + moi = Nous

 

Tous ces actes de décès identiques me font mal au coeur. Comment peut-on abandonner une personne âgée comme cela ? Ne pas faire attention à elle ? Ne pas s’inquiéter de son sort ? Elle est en vie mais déjà partie, déjà transparente. Alors quand elle décède… On ne la voit plus mais personne ne s’en inquiète. Et ça me révolte en tant qu’humain.

 

Cela me révolte parce qu’on m’a appris à faire attention aux gens. Parce qu’une personne âgée c’est sacré. Parce que, dans ma culture occitane, pendant des siècles, il y avait trois générations sous un même toit. Et que c’est comme si c’était imprégné dans mes gènes. Mes grands-parents maternels se sont occupés jusqu’à leur mort des parents de ma grand-mère. Ma mère et mes tantes se sont occupés de mes grands-parents jusqu’à leur mort, les prenant chez elles ou allant voir ma grand-mère tous les weekends, voire tous les jours, quand elle a voulu aller en maison de retraite. Et là, mes frères et moi faisons attention à ma mère et à mes tantes, à leurs santés. C’est normal. Naturel. Il n’y a même pas de questions à se poser. De même que je regarde ce que deviennent les personnes âgées de ma résidence.

 

Si un jour, je m’intéresse à eux en tant que généalogiste, je sais déjà que ce sera pour eux. Pas pour l’actif qu’ils possédaient. Pas pour les sommes que je pourrais récupérer sur la part de leurs héritiers. Pas non plus pour cette course effrénée contre les Domaines. Mais pour eux. Pour qu’ils retrouvent une dignité au-delà de la mort. Qu’une dernière personne leur tende enfin une main pour les accompagner. Leur dire : « Je vous vois. » Leur sourire une dernière fois.