Une cliente m’a demandé d’effectuer des recherches sur ses ancêtres réunionnais, me disant qu’il y a de fortes chances qu’elle ait des ancêtres esclaves. C’est en cherchant des photos pour me communiquer des informations sur ses oncles et tantes qu’elle a réalisé qu’une de ses grands-mères était noire de peau. Elle ne s’en était jamais rendu compte jusqu’à présent.

J’ai déjà effectué des recherches à La Réunion, quand j’ai cherché la généalogie paternelle de Fabien, mon ancien associé pour la lui offrir en cadeau de mariage. J’ai alors beaucoup lu sur l’esclavage dans cette île. Cela m’a permis de me poser des questions. Beaucoup, sur notre histoire et la manière dont elle est racontée, notamment. Cela a ouvert mon esprit au point qu’un jour, dans une librairie, j’ai trouvé un ouvrage sur l’histoire de l’Afrique ancienne, ou plutôt disons avant l’arrivée des Blancs sur ce continent. Je suis actuellement en train de le lire et j’y apprends de nombreux faits. Qui a entendu parler des royaumes de Kanem, de Kerma, de Napata, d’Aksum ou de Méroé ? Napata et Méroé, peut-être, pour ceux qui ont des souvenirs dans leur enfance concernant le pays de Kouch. Et encore ! Qui sait que le nom de ce continent vient de l’ancienne province romaine de l’Ifriqiya ? Que la partie orientale de ce continent était appelée auparavant l’Azanie ? Qui sait faire la différence entre le Mâli et le Mali, le Kongo et le Congo ? Qui sait que les Swahili étaient musulmans, en lien commercial avec l’Arabie, la Perse, la Chine et l’Inde avant l’arrivée des Portugais en 1498 ? Qu’il existait une Traite musulmane avant la Traite mise en place par les Blancs ? Pas grand monde à mon avis, si ce n’est des spécialistes.

Mais du coup, cela m’a fait me poser d’autres questions, cela a ouvert mon empathie en tant que généalogiste. Je me suis mis à imaginer un texte, pendant toute une nuit, alors que je dormais. Je vous le livre ici, à la première personne, tel qu’il m’est venu.

Je m’appelle Nkhonjera Banda, marié avec la belle Tafadzwa. J’habite près du lac Nyassa et je cultive le taro, le sorgho et l’igname. Je parle le bantou. Un jour, Tafadzwa et moi avons été chassés par des Yao comme les panthères chassent l’antilope. Nous nous étions arrêtés loin des autres pour nous embrasser. Tafadzwa venait de m’annoncer qu’elle attendait notre premier enfant. Nous étions seuls et nous n’avons pas vu les Yao. Ceux-ci ne nous ont pas fait de cadeaux et nous ont capturés avant de nous mettre les chaînes avec d’autres prisonniers. Tafadzwa et moi avons été séparés. Je l’entendais beaucoup pleurer mais je ne pouvais rien faire.

Les Yao nous ont amenés en pays swahili. Nous parlons tous la même langue mais ils n’ont jamais voulu répondre, si ce n’est par des coups, à mes questions. J’ai été enfermé et je me suis tu, seuil moyen pour survivre et arrêter d’être frappé. J’ai vu la richesse des Swahili, leurs mosquées. Ils m’ont échangé contre des perles et du tissu venant d’endroits que je ne connais pas, dont je n’ai jamais entendu parler. Des étrangers, parlant une langue que je ne connais pas non plus, m’ont inspecté comme un animal avant de me faire monter de force dans un bateau. Je n’en ai jamais vu de si grand. Je ne sais pas où est Tafadzwa. Je ne la vois pas et personne dans le bateau ne la connaît. Je m’inquiète pour elle et pour notre enfant à naître.

Nous nous sommes arrêtés dans un endroit que certains d’entre nous nomment Tinko. Nos kidnappeurs l’appellent Madagascar. Ils ont jeté à la mer les morts sans pratiquer aucune cérémonie funéraire pour eux. Comment vont-ils rejoindre leurs ancêtres ? Je ne sais toujours pas où est Tafadzwa. La retrouver me maintient en vie. Puis nous sommes repartis. Plusieurs jours de bateau à nouveau avant d’arriver dans un endroit qu’ils appellent Bourbon. J’ai été vendu à un homme avec d’autres. Il m’a donné un autre nom : Balthazar. Je sais que je suis désormais un Zanj. Je ne sais pas si je reverrais un jour ma femme et notre enfant.