Lors de ma recherche systématique dans les archives de notaires pour la famille Lautrec, je trouve parfois des documents intéressants qui me donnent envie de vous les faire découvrir. Aujourd’hui, c’est un louage de serviteur.

 

Le contrat est passé chez Me Pierre Bouffard, notaire de Castres. Le 9 mars 1660, Etienne Gertoux, marchand, habitant La Chanal en Dauphiné (aujourd’hui Chianale à Châteaudauphin, diocèse de Turin, dans la Val Varaita) de gré et volontairement se met pour serviteur du sieur Geoffre Roux, marchand, habitant Castres, pour le temps et terme de 3 ans et 3 mois.

 

Etienne Gertoux promet de bien servir Geoffre Roux en ce qui est de la vacation de marchand et de s’employer à la vente de toutes les marchandises que son maître lui mettra entre les mains avec toute la fidélité et diligence qui lui sera possible. Il promet lui rendre bon et fidèle compte tous les soirs quand il sera en ville ou reviendra de sa campagne.

 

Etienne Gertoux sera tenu de se nourrir et Geoffre Roux sera tenu de passer en dépenses sur le profit ce qui est accoutumé de faire aux factures. Etienne Gertoux aura 100 livres de gages à la fin de cette période de louage.

 

J’ai été étonné quand j’ai lu ce contrat. Pourquoi un marchand se louait-il comme serviteur à un autre marchand ? J’ai été encore plus étonné quand j’ai trouvé une palanquée de tels contrats chez ce notaire. Que se passe-t-il donc ? Patrice Poujade, dans son ouvrage intitulé  » Une société marchande: le commerce et ses acteurs dans les Pyrénées modernes » paru aux Presses Universitaires du Mirail constate qu’il existe des migrations marchandes entre les Alpes et les Pyrénées. Les Alpins qu’il a pu identifier sont tous des Dauphinois, venant de la partie montagnarde (diocèse d’Embrun, écartons du Briançonnais donc de la République des Escartons). Parmi ces Dauphinois, il cite notamment un Bernard Gertous, marchand de La Chanal (tiens donc !), installé en pays de Foix en 1682.

 

Pour lui, nous sommes dans le cadre de migrations de montagne à montagne (Castres est proche de la Montagne Noire, fin du Massif Central). Etienne Gertoux a-t-il une spécialité qui le rend nécessaire à Geoffre Roux ? Existe-t-il une solidarité régionale ? Existe-t-il un courant migratoire entre les trois montagnes ? Existe-t-il un réseau pré-établi ? S’agit-il d’un flux migratoire identique à ce que pouvaient faire par ailleurs les maçons ? Au vu du nombre de contrats de louage de serviteur chez Me Pierre Bouffard, le déplacement est fort possiblement fait en groupe plutôt que de manière individuelle. Avons-nous des déplacements dans les deux sens ou bien uniquement des Alpes vers les Pyrénées et le Massif Central ? Existe-t-il un critère « confessionnel » ?

Une seule certitude, la question de la langue ne se pose pas, on parle occitan de tous les côtés (la Val Varaita est une vallée occitane).  De même, la question de l’écriture ne se pose pas non plus. Dans la République des Escartons, neuf habitants sur dix savent lire, écrire et faire des calculs mathématiques (c’est ce qu’on appelle le « paradoxe alpin », phénomène selon lequel le niveau d’instruction et d’ouverture culturelle d’une communauté est proportionnellement supérieur à la moyenne) . Castres est une ville protestante et l’éducation y est importante aussi.

 

Comme quoi, une fois de plus, un simple contrat lu chez un notaire et l’éventail s’ouvre ! La vie arrive, la chair s’installe. Ce n’est plus un simple contrat, c’est devenu une porte qui s’ouvre.