On dit souvent que la curiosité est un vilain défaut. Et si, au contraire, il s’agissait d’une qualité intéressante mais peu cultivée, y compris chez les généalogistes ? J’ai lu tout un dossier paru dans le dernier numéro de la revue Harvard Business Review France sur ce sujet, vu du côté professionnel. En voici un petit résumé.

 

Curiosité : Elan qui nous pousse à rechercher de nouvelles informations, à vivre de nouvelles expériences et à explorer le champ des possibles. C’est une caractéristique humaine fondamentale. Cultiver la curiosité aide à s’adapter aux incertitudes et aux pressions extérieures.

 

La curiosité améliore l’intelligence. Elle augmente la persévérance ou le courage, nous pousse à un engagement plus affirmé, à des performances plus élevées et à des objectifs davantage porteurs de sens.

 

Les psychologues ont proposé diverses théories expliquant pourquoi un individu est plus curieux qu’un autre. Dans les années 1950, Daniel Berlyne est l’un des premiers psychologues à modéliser la curiosité de manière globale. Nous cherchons tous un point idéal entre deux états profondément inconfortables : La sous-stimulation (affronter des tâches, des individus ou des situations dépourvus d’un niveau suffisant de nouveauté, de complexité, d’incertitude ou de conflit) et la sur-stimulation. A cette fin, nous avons recours à la « curiosité de diversion » (on cherche un remède à l’ennui quel qu’il soit), ou à la « curiosité spécifique » (un individu hyper-stimulé essaie de comprendre ce qui lui arrive afin de ramener son excitation à un niveau plus gérable).

Dans les années 1970, Edward Deci avance que la curiosité reflète notre motivation intrinsèque à chercher la nouveauté et le challenge, à développer et mobiliser nos capacités, à explorer et à apprendre.

En 1994, George Loewenstein propose la théorie du défaut d’information : on devient curieux parce que le savoir désiré nous fait défaut, ce qui crée un sentiment d’incertitude très désagréable nous poussant à chercher l’information manquante.

Marvin Zuckerman, des années 1960 aux années 2000, a étudié la recherche de sensations, c’est-à-dire la volonté de prendre des risques en vue de vivre des expériences fortes, variées et nouvelles.

En 2006, Britta Renner a initié l’étude de la curiosité sociale soit l’intérêt des individus pour les idées, les sentiments et les comportements d’autrui.

 

A partir de ces différentes recherches, la curiosité peut être modelée selon cinq dimensions :

1/la sensibilité au manque : le constat d’un vide dans nos connaissances dont le comblement nous apaise.

2/l’exploration joyeuse : être émerveillé par les aspects fascinants de notre monde.

3/la curiosité sociale : parler, écouter, observer les autres pour découvrir ce qu’ils font, ce qu’ils pensent.

4/la tolérance au stress : inclination à accepter et exploiter l’anxiété associée à la nouveauté.

5/la recherche du frisson : être prêt à prendre des risques physiques, sociaux, financiers, pour vivre des expériences variées, complexes et intenses.

 

Quand notre curiosité est éveillée, nous sommes moins enclins à tomber dans les pièges du biais de confirmation (chercher des informations qui confortent nos croyances plutôt que des preuves que nous nous trompons) et du stéréotype (faire des généralisations). L’encourager génère du progrès car elle permet d’aborder les situations délicates de manière créative. Elle réduit aussi les réactions défensives au stress et les réactions agressives aux provocations. De plus elle accroit nos performances. La curiosité encourage les membres du groupe à se mettre à la place des autres et à s’intéresser à leurs idées, plutôt que de se concentrer sur leur seul point de vue.

 

En dépit de ses bienfaits avérés, la curiosité est bien souvent découragée d’un point de vue professionnel. Deux tendances empêchent souvent d’encourager la curiosité :

1/Laisser les collaborateurs suivre leur curiosité génère une confusion coûteuse. Même si la créativité est un objectif affiché, les idées novatrices sont en fait fréquemment repoussées. Explorer implique de remettre en cause un statu quo et n’aboutit pas systématiquement à des découvertes utiles.

2/Rechercher l’efficacité au détriment de l’exploration. Ne se soucier que d’efficacité implique que l’on cesse d’expérimenter et du coup on se laisse distancer. C’est ce qui est arrivé à Ford quand il s’est intéressé uniquement au moyen d’améliorer la production de sa T alors que les automobilistes avaient envie d’autres modèles.

 

Ce sont les questions qui font avancer, pas les réponses. Empathie et curiosité vont de pair. La première favorise l’écoute active et permet de voir les problèmes ou décisions depuis le point de vue d’une tierce personne. La seconde fait que l’on s’intéresse aux domaines de compétences des autres, au point éventuellement de s’y engager soi-même. Un individu est performant non pas parce qu’il est spécialisé dans telle ou telle discipline mais parce que son expertise le pousse à poser des questions, à explorer et à collaborer. Lire des ouvrages sans rapport avec son domaine professionnel ou explorer des questions dans le seul but de connaître les réponses sont des indicateurs de curiosité.

 

Quand on aborde un nouveau domaine, l’écoute est aussi importante que la parole. Elle nous aide à combler les lacunes dans nos connaissances et à identifier les sujets qui nécessitent notre attention. Qu’est-ce qui nous empêche de poser des questions ? Plus on grimpe dans les échelons, moins on pense avoir à apprendre. Sauf que… Quand nous posons des questions, nos interlocuteurs nous estiment davantage et nous perçoivent comme plus compétents. Quand un dirigeant concède qu’il ignore la réponse à une question, il montre qu’il valorise le processus de recherche et incite les autres à explorer eux aussi. L’humilité intellectuelle est la capacité à reconnaître que nos connaissances sont clairement limitées. Elle peut être associée à une plus grande propension à envisager d’autres perspectives que la nôtre et est corrélée à une meilleure réussite. Du coup, nous sommes davantage capables de voir que le monde est en perpétuelle évolution et que le futur différera du présent.

 

Ceux d’entre nous qui continuent avec passion à apprendre ont à leur disposition une gamme d’options et de perspectives bien plus vastes. On a naturellement tendance à se focaliser sur le résultat, pourtant se concentrer sur l’apprentissage est plus bénéfique. Structurer le travail autour d’objectifs pédagogiques plutôt que viser des objectifs de performance accroît la motivation. Et quand nous sommes motivés par un objectif pédagogique, nous acquérons des aptitudes plus variées, nous sommes meilleurs dans ce que nous faisons. Il est plus intéressant de récompenser les individus pour les progrès accomplis afin d’atteindre les résultats attendus.

 

Une entreprise peut nourrir la curiosité de ses collaborateurs en leur accordant du temps et des ressources afin qu’ils explorent leurs centres d’intérêt. Généralement, les dirigeants rechignent à investir dans la formation de leurs salariés, de peur qu’ils ne se tournent ensuite vers la concurrence emportant avec eux les compétences chèrement acquises. Quand nous avons l’occasion d’élargir nos centres d’intérêt, non seulement notre curiosité reste intacte mais en plus notre confiance en nos capacités augmente et nos succès professionnels sont plus nombreux. On élargit également ses intérêts en élargissant son carnet d’adresses. Un dirigeant peut booster enfin la curiosité en composant ses équipes avec soin.

 

Tout parent le sait, les pourquoi sont omniprésents dans la bouche de jeunes enfants éprouvant un besoin insatiable de comprendre le monde qui les entoure. Ils n’ont pas peur de poser des questions et ne s’inquiètent pas de savoir s’ils sont censés déjà connaître la réponse. En grandissant, toutefois, la timidité les gagne en même temps que le désir de paraître sûrs d’eux et de montrer qu’ils savent…Et une fois adulte nous réprimons bien souvent notre curiosité. Organiser des journées de questionnement au cours desquelles les salariés sont encouragés à formuler leurs questions s’ils sont en difficulté est un grand pas en faveur de la curiosité. Dans la plupart des entreprises, le message implicite est : les questions sont une remise en cause malvenue de l’autorité.

 

Alors comment aider les curieux à devenir compétents ? En leur confiant des missions dépassant leurs aptitudes et en les affectant judicieusement à d’autres postes. Quand un esprit curieux vit ces expériences, il excelle. Parce qu’il aime les défis et qu’il va chercher. Dans le cas contraire, il stagne ou quitte le navire.

 

Alors, profitez de la généalogie pour exercer votre curiosité. Allez explorer. Posez-vous des questions : Comment puis-je trouver l’histoire de mes ancêtres féminines en dehors de la longue litanie de leurs grossesses ? Par exemple, comme je viens de le lire dans un groupe Facebook de généalogie. YES ! J’adore ce type de questions qui nécessite d’aller plus loin que le basique état civil. Allez gratter là où ça fait mal, cela ne vous fera que du bien.