Il y a quelques années, j’avais fait travailler mes étudiants sur les généalogies d’Adolphe et Fernand Crémieux. Un même nom de famille. Une naissance dans le même département. Y avait-il parenté entre les deux ?

 

Au cours de nos recherches, nous avions remarqué que ce nom s’écrivait parfois Crémy, Crémuy voire Carmy et que suivant l’endroit où la personne se trouvait, le nom pouvait passer d’une forme à l’autre. Par exemple, Isaac CARMY, né à Cavaillon dans le Vaucluse, a des enfants qui naissent soit CREMY soit CREMIEUX. Joseph Haïm CREMIEUX, né à Cavaillon, a un fils qui naît sous le nom de CREMUY à Carpentras mais son petit-fils redevient CREMIEUX en Avignon et ce sans qu’il y ait une quelconque modification de nom devant un juge. Changement de lieu, changement de nom !

 

Nous avions interrogé pour cela une des personnes s’occupant du fonds Lucien Simon, fonds qu’ils exploitaient pour mener à bien leur généalogie. Il leur avait expliqué que ces noms étaient les mêmes. Au niveau de l’alphabet hébraïque, ils s’écrivent pareils. Plusieurs orthographes possibles en alphabet latin, un seul nom en alphabet hébraïque. Donc un triple travail de recherche les attendaient. Nous avons pour la plupart l’habitude des modifications de noms au cours de nos recherches.  Des modifications du nom, ce n’était donc pas une inconnue pour eux. Mais là … Nouvel alphabet et ils découvraient d’autres particularités par rapport au nôtre. Il ne fallait pas penser latin mais hébreux a minima.

 

L’alphabet hébraïque est en effet un alphabet qui comprend 22 consonnes auquel s’ajoute un système de vocalisation. L’adjonction des voyelles n’est pas obligatoire. L’hébreu s’écrit de droite à gauche et ne connaît pas de majuscules. Par contre, certaines lettres à la fin des mots adoptent une variante graphique : ce sont les lettres finales.

 

Que nous trouvions des variantes différentes était donc normal. CARMY, CREMIEUX, CREMY : noms différents en alphabet latin, nom identique en alphabet hébraïque. Et cela, ce fut tout nouveau pour eux. Une véritable découverte !

 

Qu’en est-il de sa signification ? Jean-Claude Cohen, dans sa recherche sur les Judéo-Comtadins, nous donne l’explication de la formation des noms :

 

« J’imagine que nos Judéo-Comtadins ont, eux aussi commencé par s’appeler « Daniel, fils de David », puis ont eu besoin de précision le jour où plusieurs ont répondu à ces seuls critères. Ainsi ont-ils utilisé ce qui deviendra leur patronyme.

La première famille de patronymes est d’ordre géographique : l’usage, sans doute avec un parfum de nostalgie, des villes dont ils se pensaient issus. Ils se désignaient « Mardochée de Lunel », « Samuel de Bédarrides », de Monteux, de Milhaud, de Beaucaire, de Cavaillon, etc.

On trouve, ensuite, des noms à consonance religieuse : Cohen, Vidal (Haïm), Lion. Pour ce dernier on assiste d’ailleurs à une curieuse dérive : alors que ce patronyme a une authentique origine biblique, soit par lacune orthographique, soit par assimilation à d’autres origines géographiques, l’orthographe la plus répandue sera « Lyon ».

Un troisième groupe a des origines plus difficiles à cerner. Il s’agit de « Naquet », sans doute issu d’un métier ou d’un sobriquet. Il s’agit également de Crémieux, dont l’origine mystérieuse est aux Comtadins ce que le Masque de Fer est aux historiens. On ne trouve jamais la mention « de Crémieux » contrairement à ce qui est utilisé pour tous les noms de ville, ce qui nous laisse à penser que les Crémieux ne sont pas plus de Crémieux que les Lion de Lyon ou les Cahen…de Caen. Il y a vraisemblablement là une origine hébraïque (« le jardinier » ?).

A ces incertitudes des origines, s’ajoutent en plus les particularités orthographiques ou coutumières. »