Je ne sais pour vous, mais parfois j’ai l’impression d’être complètement addict à la généalogie. Une petite définition de l’addiction peut-être pour commencer :  Dépendance à une substance mais aussi à un comportement ou à une situation, voire à une relation affective même si sont ressenties une souffrance, une fréquente culpabilité et des tentatives répétées de maîtrise ou d’interruption.

 

Poètes et romanciers ont su, mieux que quiconque, en décrire l’emprise. Relisez Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire si vous n’en êtes pas convaincus. Vous y trouverez aussi les efforts surhumains de la volonté déployés pour y échapper.

 

Quel généalogiste, lancé dans une recherche, ne s’est pas dit  « Allez, encore une dernière petite recherche et j’éteins l’ordinateur. J’y suis presque, je commence à trouver, je vais pas lâcher maintenant quand même !  » ? Avant de se rendre compte qu’il est minuit passé, voire beaucoup plus tard et que le conjoint, qui n’a pas osé vous laisser tout seul devant votre ordinateur, s’est endormi avec amour sur le canapé à côté de vous depuis un moment.

 

Il m’est arrivé de gentiment gronder certains de mes stagiaires ou de mes étudiants qui, lors d’un weekend en amoureux, m’écrivaient pour me poser des questions en généalogie ou me parler de leurs trouvailles :  » Mais vous allez m’éteindre l’ordinateur oui ? Non mais je le crois pas ! Je le crois pas !  Qu’est-ce que vous faites à causer généalogie avec moi alors que vous avez programmé un weekend en amoureux ? Direction les bras de votre amour, tout de suite ! Les questions, vous verrez à votre retour de weekend ! » C’est du vécu, je vous le garantis.

 

Ceci dit, qu’est-ce qu’ils se passe vraiment ? Le mécanisme de l’addiction prend racine dans le cerveau, dans le système cérébral de la « récompense ». La drogue, quelle qu’elle soit, y laisse une trace profonde qui nous pousse à recommencer. Et le piège se referme.

 

Jean-Antoine Girault, neurobiologiste et directeur de recherche à l’INSERM explique : « Ce système nous sert en permanence dans les fonctions vitales (boire, manger…) . Et cela procure un sentiment double : satiété et bien-être.  Ce double sentiment relève du système de récompense qui a d’abord permis la survie de l’espèce : en effet, au fil de l’évolution, des mécanismes d’apprentissage automatiques se sont mis en place. Ils permettent d’apprendre sans effort à adopter des conduites qui procurent des récompenses.  Au-delà, la sensation de plaisir ressentie pousse à renouveler l’opération source de satisfaction. Cela  favorise nos apprentissages, mais aussi les addictions.  Les circuits de récompense ont été mis en lumière dans les années 50, grâce à des expériences réalisées sur des rats. Celles-ci ont montré que lorsque des rats avaient la possibilité d’auto-stimuler certains neurones de leur cerveau, ils se livraient spontanément à cette activité au détriment des autres.

 

L’addiction augmente le taux de dopamine dans les synapses d’une région du cerveau faisant partie des circuits de récompense. La dopamine module les neurotransmetteurs, ces substances qui transmettent l’information entre les neurones du cerveau. Sa libération dans les synapses pousse le cerveau à répéter les actions qui l’ont amené à la récompense.

 

Les produits addictifs piratent le système de récompense en le stimulant directement. Pour comprendre l’impact de ces produits sur le cerveau, représentez-vous un lavabo avec de l’eau coulant dedans. Si vous bouchez ce lavabo, le niveau d’eau va logiquement  monter puisque celle-ci ne pourra plus s’écouler. Il en va de même pour la dopamine. Habituellement, elle se dégrade en partie après avoir été libérée dans la synapse. Cependant, la consommation d’une drogue, comme la cocaïne (par exemple) , empêche la recapture de la dopamine par les neurones et donc sa concentration augmente. »

 

La répétition amenant à la récompense pousse donc à la prise de la drogue, quelle qu’elle soit puisqu’un comportement particulier peut être une « drogue » : le cerveau en redemande toujours plus. Le cercle vicieux se referme. Conséquemment à cela, malgré qu’elles soient conscientes  du caractère nocif , les personnes dépendantes n’arrivent pas à s’arrêter. En cas de plaisir, l’hypophyse peut en outre déclencher de l’endorphine, proche de la morphine.

 

Le système de la récompense est doublement activé. Ne me dites pas que vous n’êtes pas satisfaits quand vous avez enfin trouvé l’ancêtre que parfois vous cherchiez depuis des mois, voire des années et qu’enfin, enfin, il est là, là, devant vos yeux ! Ou que vous avez appris une nouvelle manière de rechercher qui vous évite à la fois de perdre du temps et d’en savoir plus sur la vie de vos ancêtres. Et que vous vous dites : Bon, maintenant que j’ai trouvé pour celui-ci, et si je cherchais pour celui-là ? Pourquoi croyez-vous que la généalogie est un tonneau des Danaïdes ? A votre avis ?

 

Comme quoi, la généalogie ….