Le 6 octobre 1931, vers 16 h 45, Monsieur Moracchini, commissaire du 6ème arrondissement de Nice est averti par le propriétaire de l’Hôtel de La Vallière, 57 route de France, qu’une de ses pensionnaires vient de se tirer deux balles de revolver dans le ventre, dans son jardin, sur la tombe du chat d’Herminie de Toulouse-Lautrec. Arrivé sur les lieux, il s’agit bien d’elle. Pendant que les secours l’emmènent vers l’Hôpital Saint Roch, son état est en effet désespéré, le commissaire interroge : que s’est-il passé aujourd’hui ? Il semblerait qu’elle soit rentrée dans un état assez singulier l’après-midi, elle semblait s’être enivrée selon les autres clients de l’hôtel. Arrivé dans sa chambre, le commissaire trouve trois lettres : une à son attention dans laquelle elle le prie de bien vouloir l’excuser du dérangement qu’elle lui cause, de bien vouloir distribuer tous ses biens et de remettre le revolver à un de ses amis. La deuxième lettre est à l’attention d’un praticien niçois, la troisième pour un restaurateur de la rue Biscarra.

 

Herminie décédera le 10 octobre 1931, des suites de ses blessures, après avoir subi une laparotomie. Elle était âgée de 46 ans.

 

Elle était un personnage bien connu des Niçois. Toujours vêtue de robes voyantes et passablement défraîchies, longue, maigre, largement décolletée, très maquillée (elle promenait en vain dans son sac tout un attirail pour réparer l’irréparable outrage des ans) mais le visage malgré tout blafard, elle avait l’habitude de traînailler dans les rues de Nice avec son chat siamois en laisse dans une main et une canne enrubannée dans l’autre. Selon les Niçois, la nature l’avait plutôt déshéritée côté beauté. D’un naturel affable, elle passait en tout cas rarement inaperçue.

 

Le Petit Niçois, à l’annonce de son suicide, dans son numéro du 7 octobre 1931, rappelle sa vie. Dame d’honneur à la cour de Russie, on la voyait en compagnie de son cousin le peintre quand il descendait sur la Côte d’Azur. En 1924, elle fut condamnée à de la prison pour vol de draps mis chez Ma Tante et de même en 1926 pour un délit au préjudice de la comtesse Tolstoï.

 

Elle vivait sinon comme elle le pouvait, d’expédients en quelques cachets de figurante dans des prises de vue au cinéma dans les studios de la Franc-Film. Un jour, on lui avait confié un petit rôle d’ivrogne, qu’elle avait malheureusement trop pris au sérieux au point d’être complètement incapable de jouer.

 

Une dernière pirouette après sa mort. Nous intéressant à elle, Marvin, alors toujours stagiaire chez moi, trouve son acte de décès. Elle y est dite fille de Nicolas Toulouse-Lautrec et Herminie Strassine, née le 2 décembre 1888 à Tbilissi (anciennement Tiflis).

 

Nicolas ? Quel Nicolas ? Les prénoms de la branche russe sont Alexandre et Valérien. Point de Nicolas si ce n’est notre désormais fameux Nicolas de Savine. Serait-elle une fille de celui-ci ? Car point d’Herminie Strassine non plus dans la branche russe des Toulouse-Lautrec. Nicolas de Savine aurait pu mettre enceinte une jeune fille, reconnaître l’enfant pour sien, lui donner le nom de Toulouse-Lautrec qu’il a déjà usurpé en 1888 et ne pas épouser la mère. Cela ne serait point surprenant concernant le personnage. Bref ça turbine tous azimuts dans mon cerveau.

 

Je demande alors à Florent Fassi, ancien étudiant du DU (promotion Bataclan), habitant Nice s’il peut me trouver le procès de 1924. Devant le tribunal correctionnel, je la vois mal donner une fausse identité et de faux noms pour ses parents. Bingo ! Il me trouve ce fameux jugement. Elle y est dite fille d’Alexandre de Toulouse-Lautrec et d’Emma de Baum (Herminie Féodorovna après son baptême dans la religion orthodoxe), née le 2 décembre 1888 à Piatigorsk.

 

D’où sort ce prénom de Nicolas ? Qui est Herminie Strassine ? Aucune idée. Comme quoi, même en 1931, il faut se méfier des actes de décès et des informations qu’ils donnent.