Et si en fait il en existait pas un mais deux ? Deux marchés dans lequel nous trouverions des passionnés mais qui auraient des attentes différentes. Deux marchés ? Mais lesquels ? Je vais la jouer provocateur, volontairement. Le but est de susciter la réflexion. Et on ne la fait pas avancer en restant tout le temps conciliant. Il faut parfois y aller cash et cru, c’est ce que m’a appris une amie. Susciter la confrontation, les engueulades, pour aller  enfin ailleurs, bouger du point de départ. Donc allons-y !

 

Tout d’abord, nous aurions un « marché primaire » qui seraient celui où sont les généalogistes professionnels.  Dans ce marché apparaissent des recherches nouvelles, des généalogies nouvelles, qui se voient affecter un prix pour la première fois, mettant en adéquation une valeur économique et une valeur historique, une valeur symbolique. Dans ce marché, on aurait une opération de légitimation historique, savante avec, normalement, la détermination conséquente d’un prix. Normalement mais nous verrons ce qui se passe du côté du prix dans un autre article.

 

Ensuite nous aurions un « marché secondaire » où les recherches sont échangées. Leur valeur économique peut alors évoluer sous l’effet de facteurs autres qu’historiques. Dans ce marché, la détermination d’une valeur économique est centrale. C’est un marché où on parle de données, pas de recherche. Combien vaut la donnée exploitable ? C’est le marché des sociétés de généalogie.

 

Nous aurions alors deux rôles différents. Je vais la jouer provocateur volontairement, je le redis.  Les généalogistes professionnels seraient les véritables acteurs de la généalogie, les sociétés ne feraient qu’introduire l’argent dans le Temple. Les professionnels exerceraient d’abord une fonction historique suivie d’une d’une fonction économique et travailleraient pour cela dans deux espaces : un espace « noble » qui est celui de la recherche et un espace « roturier », plus anonyme, essentiel mais économiquement non valable. Ce qui compte c’est le temps de recherche, pas le temps pendant lequel on travaille à rendre la recherche lisible pour le client. Ce dernier temps serait du temps sans importance économique. Les généalogistes professionnels auraient alors une double logique : celle d’être des initiateurs à la recherche et celle permettant de trouver pour eux des moyens de subsistance. Sachant que c’est la première qui primerait au détriment de la seconde.

 

Ces deux pôles, généalogistes professionnels et sociétés de généalogie, peuvent-ils oeuvrer ensemble ou bien sont-ils hostiles l’un à l’autre ? La valeur historique n’est-elle qu’un aspect de la valeur économique ? Pour le moment, en tout cas c’est l’impression que j’ai, ces deux marchés semblent travailler l’un à côté de l’autre sans véritable lien. Le travail des généalogistes professionnels n’est pas vraiment réinvesti dans les sociétés de généalogie alors qu’elles pourraient être des prescripteurs pour des recherches, que des partenariats pourraient se créer.

 

Imaginons : les professionnels retravaillent toutes leurs recherches de façon à ce qu’elles intéressent les sociétés de généalogie et les leur proposent moyennant rétribution. Celles-ci les vendent, font donc connaître leurs recherches en même temps, reversent une partie de cette vente aux professionnels, et proposent à leurs clients qui trouvent un couple issu des recherches des professionnels que celui-ci les continuent à un prix supérieur. Et une fois la primauté des recherches payées, elles seraient réinvesties dans les sociétés pour augmenter leur pool.

 

Les sociétés de généalogie pourraient même demander aux professionnels d’apporter des dépouillements de documents qu’elles pourraient ensuite proposer à leurs clients, indexés, numérisés.  Vu les kilomètres linéaires de documents qui existent en France, il y en a pour un moment à tout dépouiller. Et cela permettrait aussi de travailler de concert avec les services d’Archives. Nous en sommes très très loin !

 

J’ai l’impression que le marché des professionnels fonctionne à l’écart des mécanismes économiques standards. Qu’il est vécu comme un marché de la vertu : Nous faisons de la recherche, nous Monsieur, alors que les sociétés de généalogie font de l’argent. Mais est-ce une position vraiment viable à long terme ? Pierre Bourdieu a en effet démontré qu’à long terme une accumulation de valeur symbolique, comme nous pouvons l’avoir nous les professionnels, tend à s’aligner sur des logiques économiques, même si à court terme la distance peut être plus grande.

 

Existe-t-il un marché de la généalogie ?