Je suis en train de rédiger une série d’articles sur le marché de la généalogie. C’est la formation PLATO qui m’y a fait penser. Surtout le fait que sur 150 généalogistes familiaux, hormis les intervenants généalogistes, personne n’a voulu s’y inscrire. Personne n’a émis le souhait de vouloir réfléchir sur comment améliorer notre métier. Et au moins trois généalogistes familiaux ont été  négatifs et désagréables non seulement envers moi, ça ce n’est pas grave, venant d’eux et au vu des premiers échanges je m’en doutais un peu, mais aussi envers la structure proposant cette formation. Ce qui a effaré la Chambre de Commerce et d’Industrie du Tarn qui n’avait jamais rencontré cela auparavant dans aucune des formations proposées par elle.

Je me suis dit qu’il fallait quand même continuer à se poser les bonnes questions, à mes yeux en tout cas, à voir comment améliorer ma pratique. Ne serait-ce que pour ceux qui ont bien voulu intervenir et qui ne l’ont pas pu, faute d’avoir des personnes en face pour réfléchir ensemble. Et parce que les clients en face, eux, se posent des questions et que si nous n’y répondons pas, ils vont faire autrement. Sans nous.

 

Mon but  cette fois-ci ? Essayer de répondre peu ou prou à ces questions :

 

  • Existe-t-il un public pour la généalogie et peut-on transformer un intérêt collectif en une force d’achat c’est-à-dire en comportements individuels d’achat ?
  • Les généalogistes familiaux se comportent-ils ou pas comme des offreurs ?
  • Les prix traduisent-ils les valeurs ou combinaisons de valeurs qu’ils sont censés représenter ?
  • Les marchés réagissent-ils tel qu’on le souhaite quand on entend faire d’eux des mécanismes d’information et de valorisation susceptibles d’augmenter le bien-être des professionnels comme des amateurs ?

 

Je me suis dit qu’il fallait rechercher tout d’abord s’il y avait eu de précédents marchés de la généalogie et de quels types ils étaient. Pour le moment, j’en ai trouvé deux.

Juge d’armes et généalogistes des ordres du roi :

 

Le juge d’armes est un officier royal établi pour connaître de toutes les contestations et différends qui arrivent à l’occasion des armoiries, pour dresser des registres dans lesquels il écrit le nom et les armes des personnes nobles et autres qui ont droit d’avoir des armoiries.

 

Il succède au maréchal d’armes, établi par Charles VIII en 1487, pour écrire, peindre et blasonner dans les registres publics, le nom et les armes de toutes les personnes ayant droit d’en porter.

 

Louis XIII crée un juge d’armes  par un édit de janvier 1615. Supprimé en 1696, il est remplacé par un grand-maître de l’armoirie général, pour juger en dernier ressort l’appel des maîtres particuliers, créés dans chaque province; mais ces officiers sont supprimés à leur tour en 1700. Par un édit du mois d’Août 1707, celui de juge d’armes est rétabli.

 

En France, les fidèles du roi sont récompensés par l’ordre de Saint-Michel ou celui du Saint-Esprit. Pour examiner les preuves des futurs chevaliers, le roi Henri IV crée la charge de généalogiste des ordres du Roi. Ce dernier examine également les preuves pour d’autres ordres (Mont-Carmel et Saint-Lazare), ainsi que pour le chapitre Saint-Louis de Metz. Sa compétence est agrandie ensuite aux preuves des chevau-légers de la garde du roi, des sous-lieutenances, des cadets gentilshommes des colonies, des lieutenants des maréchaux de France, et enfin les preuves pour obtenir les honneurs de la cour.

 

La recherche des usurpateurs du titre de noblesse est systématique de 1666 à 1674 puis de 1696 à 1727.

 

Depuis les années 1580, les rois promulguaient presque chaque année des édits ou des déclarations visant à condamner à de lourdes amendes les usurpateurs des titres et privilèges réservés au second ordre. L’appartenance à la noblesse, reconnue et sans marque de dérogeance, permettait à son bénéficiaire l’exemption complète de la taille, source importante d’argent pour le gouvernement royal.

 

Dans une déclaration du 8 février 1661, Louis XIV fait porter le montant de l’amende à deux mille livres tournois, outre l’obligation d’effacer les traces visibles de noblesse pour les personnes incriminées dans le ressort de la Cour des aides de Paris. Dans la même déclaration, il confirme toutefois, moyennant finance, la noblesse des anoblis depuis 1606. Le 27 février 1665 apparaît un règlement spécial sur l’exécution des recherches de noblesse dans les parties du royaume.

 

Un arrêt du Conseil d’Etat du roi du 1er juin 1665 précise que la recherche porte sur « ceux qui ont usurpé le titre de noblesse, pour les faire condamner au payement de l’amende et les faire employer au rôle des tailles, pour le soulagement des contribuables à icelles ». Par deux arrêts du 22 mars 1666 Louis XIV en porte l’application dans toute l’étendue du royaume.

 

L’enquête devait porter depuis l’anoblissement ou sinon sur quatre générations, avec production devant les enquêteurs d’actes authentiques et de témoignages.

 

Le temps et la dépense nécessaires pour retrouver les actes authentiques empêchent la plupart des familles de vieille noblesse de faire leurs preuves. En 1788, Charles de Villeneuve évoque à ce propos le cas du comte d’Avancourt, y travaillant depuis plus de quatre ans en ayant dépensé plus de 10 000 livres. Quant à lui, toute l’affaire ne lui coûte que 1 200 livres et deux heures de travail dans le cabinet de Chérin grâce au travail généalogique mis en place précédemment par son père.

 

Il existait donc un marché mais un peu particulier car étatique, d’origine fiscale. Soit on payait un impôt si l’on n’était pas noble, soit on en était exempté si on prouvait aux envoyés du roi la noblesse. Et si on essayait d’usurper une noblesse, le roi nous taxait d’une amende importante. L’impôt est une forme particulière de marché mais un marché. En tout cas à mes yeux.

 

Marchands de merlettes :

 

Le 9 mai 1792, le Cabinet des Ordres est versé à la Bibliothèque Nationale. Le 12 mai 1792, un décret autorisait un autodafé par une commission présidée par Camus. 2000 volumes vont disparaître ainsi.

 

Sous la Restauration, Ambroise-Louis-Marie d’Hozier est nommé Vérificateur des Armoiries près la Commission du Sceau. De même que Bertrand Lacroix, généalogiste issu d’une famille de généalogistes de l’Ordre de Malte, Nicolas Vitton de Saint-Allais et Pierre Julien de Courcelles, il propose, moyennant finances, de rendre aux familles auxquels ils appartiennent des titres originaux.

 

Claude Drigon de Magny fonde le Collège Héraldique et les Archives Héraldiques de France, acquiert tout ce que les collectionneurs avertis de son époque ont pu réunir en termes de documents généalogiques et historiques en marge et aux dépens des dépôts publics. Il vend à la page des notices familiales. En 1851, il vend à la bibliothèque Nationale le « Carré d’Hozier ».

 

En 1858, Napoléon III avec l’aide du Marquis de La Grange tente de donner un statut à l’aristocratie française en l’épurant de ses trop nombreux usurpateurs. C’est l’âge d’or pour Drigon de Magny aidé de ses deux fils. Son fonds sera définitivement dispersé en 1933.

 

Les faiseurs de nobiliaires joignent à la fabrication de notices la vente des documents servant partiellement à les confectionner. C’est la grande plaie du XIXème siècle. Après 1815, Courcelles et Saint-Allais conçoivent une série d’ouvrages où se mélangent survivants de l’ancienne noblesse et bénéficiaires de la nouvelle. L’opinion faussée par le romantisme se montre disposée à tout croire. Les prétentions fumeuses de quantité de familles se voient affirmées et la force de l’imprimé fait le reste. On confond alors ancienneté de la race et principe de noblesse.

 

Il y a là encore marché, c’est évident, mais aussi dénigrement de la discipline généalogique quand de nouveaux généalogistes sérieux ont essayé par la suite de faire le tri dans tout cela. Ces marchands de merlettes ont fait plus de tort que de bien à la généalogie. Au point que certains considèrent encore que les seuls vrais généalogistes sont les successoraux. Recherchant les héritiers, ils sont en effet détachés de ces considérations nobiliaires. Ils mettent à égalité tous les défunts sans héritiers directs et ont le droit des successions pour les soutenir. Qu’en est-il des familiaux ? De qui sont-ils les héritiers ?