L’amour de ma vie répète souvent me concernant : « Stéphane, tu es un  artiste. » Au bout d’un moment, cela finit par m’interpeller. Le généalogiste est-il un artiste ? Sinon pourquoi me dit-il cela ? Je suis allé voir du côté des artistes ce qui se passait du point de vue économique. Et effectivement j’ai trouvé des ressemblances par rapport à ce que je vis en tant que généalogiste.

 

Que se passe-t-il économiquement parlant pour un artiste ? Le temps de la légitimité artistique et culturelle est un temps long. Le temps de la légitimité économique est souvent lié, dans le domaine de la culture, aux échéances des budgets et des marchés. En tant que généalogiste, je suis sur ce temps long.

 

Trois auteurs se sont penchés sur l’économie de l’art :

 

1/ Loi de Baumol :

 

Les activités culturelles souffrent d’une faiblesse de leur productivité car reposant sur le travail artistique et l’impossibilité qui en découle de faire des économies sur ce travail. Les coûts de production de la culture ne peuvent guère baisser dans le temps. D’où les subventions publiques et le mécénat. En tant que généalogiste, de même, on ne peut guère faire l’économie de la recherche. Mon travail repose sur cette recherche. Même si je me constitue une base de données, il est rare que deux clients aient les mêmes ancêtres. Le coût de cette recherche ne peut pas baisser dans le temps.

 

Ce qui crée l’originalité des activités culturelles c’est l’incertitude qui pèse sur l’accueil des biens par le public. L’intérêt n’est connu qu’a posteriori, une fois l’expérience faite. Pour moi, la généalogie entre dans cette catégorie.

 

L’auteur nous dit que l’hypothèse selon laquelle les artistes renonceraient d’eux-mêmes à obtenir des rémunérations comparables aux autres acteurs économiques est bien  ancrée. De même l’artiste aurait des difficultés à trouver des marchés, quel que soit son mode de formation. Trouver de nouveaux marchés est compliqué pour un généalogiste familial, malgré l’apparition d’Internet dans nos pratiques.

 

Tout le monde s’accorde à reconnaître que les artistes reçoivent des rémunérations de 10 à 30% plus faibles que la moyenne. Les coûts d’activité sont souvent élevés et peuvent même l’emporter sur des revenus. Le déficit  est en général comblé par des revenus non artistiques. L’emploi des artistes est fragiles et un quart sont à temps partiel. Leur nombre croissant provoquerait une pression à la baisse sur les rémunérations. Pour un généalogiste, ce prix horaire est inférieur de 38%. Je connais de même beaucoup de généalogiste qui mènent une autre activité à côté.

 

Je ne sais pas vous mais là  je m’y reconnais en tant que généalogiste.

 

2/ L’Hypothèse Throsby :

 

Le travail artistique aurait une utilité en soi, ce qui limiterait alors la contrepartie monétaire attendue. L’artiste bénéficierait d’une double rémunération : une de nature psychologique qu’il se verse à lui même à travers la satisfaction qu’il retire de sa propre activité ; une de nature monétaire. Sachant qu’il existe une contrainte de revenu monétaire au dessous de laquelle ceux-ci ne doivent pas descendre, quel que soit leur revenu psychologique. S’ils ne retirent pas un revenu monétaire suffisant de leur activité artistique, ils doivent aller le chercher dans une autre activité plus ou moins éloignée de cette dernière.

 

Là encore,  dans la double rémunération, je me reconnais. Quel est le premier généalogiste qui ne retire pas satisfaction de sa propre activité, sans trop se préoccuper de sa rémunération pécuniaire ? Qu’il se dénonce tout de suite !

 

Toute amélioration des conditions de vie de l’artiste le conduit à augmenter son activité artistique et à le concentrer de plus en plus sur des genres artistiques d’avant-garde. En effet, plus l’oeuvre est reproductible , plus l’artiste retire un grand bénéfice. Quand elle n’est pas reproductible, il poursuit ses propres choix. A voir si cela s’applique pour un généalogiste ou pas.

 

3/ L’hypothèse Galenson :

 

Il considère comme acquise la nature innovante de l’activité artistique. Un artiste innovateur conceptuel décide a priori le message ou l’innovation qu’il désire transmettre. Un artiste innovateur expérimental n’hésite pas à revenir un grand nombre de fois sur le même thème, ajustant par tâtonnement. De ce fait son oeuvre est lente à se constituer et à se définir  et son talent est reconnu tardivement.

Je dirais que c’est l’hypothèse dans laquelle je me reconnais le moins.

 

Bref, que je sois un artiste ou pas, j’avoue que je n’en sais rien. Par contre, l’économie de l’art ressemble beaucoup, je trouve, à l’économie de la généalogie. Peut-être l’amour de ma vie, comptable de profession et qui tient ma comptabilité, a-t-il vu cela ?