Imaginez… Imaginez un jeune adolescent de 13 ans. Pour faire plaisir à son grand-père maternel, il fait de l’équitation. Son moniteur l’engueule souvent. Pour rien. Parce qu’il aime crier sur les gens. Et malgré ces engueulades, cet adolescent continue d’y aller. Cela fait tellement plaisir à son grand-père. Ils en discutent les weekends. Ensemble.

 

Un jour, lors d’une séance de manège, la selle tourne le long du flanc droit de son cheval. L’a-t-il mal attachée ? Peut-être. De la main gauche, il tient les rênes. Et pour protéger sa tête malgré la bombe, il met le bras droit en avant. Mais le bras se casse. Cassure en motte de beurre.

 

Nous sommes fin juin. Tous les étés, il va chez son oncle et sa tante qui possèdent un appartement à la mer. Là, se baigner, plâtré, c’est impossible. Il va falloir s’occuper autrement. Cela risque d’être deux longs mois !

 

Cet adolescent de 13 ans c’est moi. Et c’est ainsi que je suis devenu généalogiste.

 

Dans ma bibliothèque, j’ai l’Illiade, l’Odyssée et l’ouvrage de référence de Pierre Grimal sur la mythologie grecque et romaine. Je profite donc de l’été avec mon bras dans le plâtre pour réaliser la généalogie de tous les dieux et demi-dieux grecs. Je suis gaucher, ça tombe bien, ça m’empêche pas d’écrire !

 

Ma deuxième passion c’est l’histoire. Alors je m’attaque aux Julio-Claudiens grâce à mon petit dictionnaire latin-français français-latin. Il y a déjà un début de généalogie mais elle m’a l’air compliqué. Cool ! J’ai du temps pour pouvoir comprendre !

 

A 16 ans avec ma mère, direction les Archives Départementales du Tarn les samedis matins. Imaginez de larges et longues tables en bois dans une salle feutrée, où nous consultons l’état civil. Le personnel chuchote : Mais c’est qui ce jeune ? Venez voir, il y a un jeune dans la salle de lecture ! Oh ! Venez voir ! Mais je vous dis qu’il y a un jeune en salle de lecture ! Enfin quand même ! Si je vous le dis c’est que c’est vrai ! Venez voir !

 

Je suis prêt pour rechercher mes ancêtres. Et ma mère et moi mettons en place une méthode. Car il faut apprendre à chercher.

 

Je suis prêt pour vérifier les histoires familiales. Antoine Joseph, qui n’aimait pas les pommes de terre bouillies comme moi et qui chantait tout le temps comme moi, gardien de prison, pesant 137 kilos et sa femme Anne-Joséphine, toute fluette, dont les portraits trônent sur le buffet de la salle à manger chez mes grands-parents. Joachim Viot, qui chantait à l’opéra de Nantes, ténorino. Sa fille Louise qui payait ses jeunes amants pendant la seconde Guerre Mondiale mais chut ! Faut pas le dire ! Les frères et sœurs de mon grand-père maternel qui se sont tous mariés entre cousins sauf tata Maria. Mon oncle Yves dont la famille serait issue d’un gendarme corse. Mamiche dont la grand-mère maternelle, Rose Valéry, serait issue d’une famille noble et elle avait des draps en deux pans seulement ! Vous vous rendez compte si elle était riche ! Et tant d’autres.

 

J’entends parler de lieux comme Le Castanié, La Salguié, Pailherols. Mais où sont-ils ? Quels sont ces lieux ?

 

Mon imagination est ouverte. Mais il va falloir tout vérifier. Avoir une approche scientifique. Tout prouver. Alors direction la bibliothèque Rochegude entre midi et deux pendant l’année du bac. J’ouvre le Père Anselme, premier rayonnage en bas à gauche en entrant dans la salle de recherches, après la porte en verre.  Et je m’installe à côté, sur une autre table oblongue de bois. Je m’attaque aux rois et aux familles nobles.  On sait jamais, s’il y avait la famille de Rose !  Et puis…Comment il a présenté leurs généalogies ? Les preuves ? Je m’abreuve à cette source.

 

Je remplis mon placard de généalogies. Mon père récupère à son travail un stock de dossiers inutiles, noirs avec comme image dessus la molécule d’ADN (mais pourquoi la molécule d’ADN alors qu’il travaille dans une mutuelle ? Hein ? Pourquoi ?) et les premières feuilles informatiques, dont plus personne ne se sert sauf de brouillon (j’ai toujours dans mon bureau une malle remplie de celles-ci, vierges, dont je me sers toujours pour y écrire des arbres). Et que je remplis, classées familles par familles, le soir d’abord puis tout le temps. Mais arrête de te pencher comme ça à écrire sur tes genoux, sur le canapé, tu vas t’esquinter le dos ! Oui oui. Stéphane, à table ! Stéphaaaaaaaaane, on maaaaaaaaaaaaaange ! Bon ! Commencez ! Je vais le chercher !

 

Puis vient le temps des questions. Alors Sans-Barbe c’est qui ? Et Ricou ? Fernand par rapport à Ricou, comment ça marche ? C’est quoi le vrai nom de Ricou en fait ? C’est Richard ? Ah c’est Henri ! Mais comment on est passé de Henri à Ricou alors ? L’aïnat et lou catet, ils sont qui par rapport à nous ? Et Chteconnais ? Alors tonton Milou c’est un frère de pépé ! Mais il est avant ou après Jules ? Milou c’est bien le père de Marcel ? Comment ça Marcel il avait un frère ? La Delmas vieille c’est la mère de Joseph, c’est bien ça ?  La Catinou ! Mais d’où elle sort celle-là ? Pourquoi on appelle Rodolphe le premier mari de Maria ? C’est Ludovic son prénom, pas Rodolphe ! Il est mort aux Dardanelles ! Waouh ! Et Mauricette, c’est la nièce de Victor qui a brûlé les photos de Ludovic c’est bien ça ? STOOOOOPPPPP ! Laisse-moi réfléchir ! Tu me saoules avec tes questions !

 

Un autre monde s’ouvre, imaginaire et réel à la fois. Un monde rempli de découvertes. C’est parti pour plus de 30 ans.