Et les généalogistes familiaux dans tout cela ? Où se situent-ils ? Pour moi, l’explication peut se trouver dans ce que j’ai appelé le mythe du généalogiste maudit. Comme on a des poètes ou des artistes maudits. Tout d’abord, peut-être, une explication du mythe en général. On peut le qualifier de la nécessité où se trouvent certains groupes ou communautés de solidifier les liens qui les unissent, de justifier leur existence, de légitimer des pratiques. A partir de 1974, il y a transformation du public des archivistes suite au développement de la généalogie. Puis, suite à Internet et à la numérisation, ce sont les généalogistes eux-mêmes qui se transforment. Il y a multiplication des postulants à la fonction de généalogiste, la profession n’étant pas réglementée. La généalogie entre pleinement dans l’économie de marché. Le mythe est le reflet d’un état de crise mais un reflet déformant pour rendre cette crise dévalorisante. Ainsi, bien que professionnel, le généalogiste familial s’exclurait de lui-même en partie de l’économie de marché au nom de « principes supérieurs » tel que le dévouement à la recherche de la vérité. Sauf que cela empêche les généalogistes d’en prendre conscience et d’agir en conséquence. Le généalogiste familial est pauvre. Il ne peut vivre de son métier. La généalogie n’est qu’un complément de revenus. Tout cela sont des postulats, admis une fois pour toutes, jamais remis en cause. La parole du généalogiste en devient vraie, sincère, authentique et désintéressée. Il se fait alors un amalgame théorique entre la valeur d’un individu et son état de dénuement. L’imaginaire occidental chrétien ne facilite pas la sortie de ces postulats. En effet, il présente la souffrance comme un bienfait, un moyen d’élévation spirituelle et morale. Le généalogiste se sacrifie pour sa cause. Sa valeur est fonction de l’ampleur de sa souffrance. D’où l’importance dans les dires des professionnels de la crise économique, qui ne peut que remettre une couche de souffrance. C’est la crise économique. Le généalogiste a beau faire des efforts, elle l’empêche d’accéder à une vie économiquement meilleure. En ce sens, comme il ne peut vivre de sa fonction, le généalogiste est un maudit. Qui plus est, le généalogiste familial est sorti de la fonction traditionnelle : rechercher des preuves de parenté dans le cadre de l’impôt. Ce fut le cas des Juges d’Armes, des Généalogistes des Ordres du Roi. C’est actuellement le cas des successoraux. Le généalogiste familial n’est pas du tout là-dedans. Il ne s’intéresse même pas aux familles nobles ou notables, comme l’ont fait les généalogistes sérieux du renouveau de la généalogie. Il s’intéresse aux petites gens, à leur plaisir. Il les remet dans l’Histoire alors que personne ne s’est intéressé à eux pendant des siècles car ils n’ont aucun intérêt du point de vue du pouvoir. D’une certaine manière, il est proche du confesseur, du psychologue. Je crois que c’est un généalogiste qui a peur. Les marchands de merlette sont passés par là et qu’il le veuille ou non, il est aussi leur héritier. Pour montrer qu’il n’est pas comme eux, il doit prouver son sérieux. D’où l’importance de faire des photos de toutes les pièces trouvées. D’où l’importance du rapport. Mais tout cela ne peut se faire payer, ce serait indigne de son dévouement à la vérité. S’est alors mis en place un déséquilibre (croissant ?) entre ceux qui ont pignon sur rue (les successoraux mais aussi les quelques familiaux « stars » qui sont connus et reconnus de tous) et une « bohême généalogique » obligée d’avoir un autre métier, une autre source de revenus pour pouvoir vivre. Là encore, il faut faire de ce « malheur » la preuve d’une « valeur généalogique ». D’où l’importance à nouveau du rapport remis au client, des photos, du temps passé bénévolement, tout un appareillage en fait de reconnaissance sociogénéalogique. En ce sens, à mon avis, le généalogiste familial est encore une fois un généalogiste maudit. Mais je vous rassure cela peut changer !
3 réponses à “Le mythe du généalogiste maudit”
C’est tout à fait cela, Stéphane, et je pense aussi que l’ouverture des archives en ligne a conforté nombre de généalogistes amateurs, qui font eux mêmes leurs recherches et ne sont pas prêts à payer un professionnel. Sauf si valeur ajoutée il y a! Mais alors BIG VALEUR AJOUTÉE
Je suis une généalogiste – terme excessif étant donné mes compétences – amateur . Faire soi-même ses recherches n’est pas qu’une question d’argent, d’honoraires à payer, mais une question de plaisir, de découverte. Les musiciens et peintres amateurs n’ont jamais empêché l’existence de professionnels et ne s’y substituent pas.
Au contraire la vulgarisation de la recherche en généalogie familiale a des chances de provoquer une demande de professionnels.
Tout expert doit remettre un rapport, justifier ses conclusions ou ses propositions, je ne trouve pas cela choquant de le demander au généalogiste professionnel.
Maudit !! certainement pas mais peut être une profession à réglementer sérieusement pour limiter les « charlatans ».
Les « charlatans » s’éliminent d’eux-mêmes. J’ai déjà croisé des marchands de merlettes. Des généalogistes qui n’hésitaient pas à faire des faux. Des généalogies Canada Dry. Elles ressemblaient à des vraies si ce n’est que, dès la recherche de la première preuve indiquée, elles s’effondraient comme des châteaux de cartes.
Je ne suis pas sûr que ce soit qu’une question de réglementation. Je crois que c’est aussi une question de formation. Il faut que le professionnel soit au top à ce niveau, pour pouvoir répondre aux questions parfois pointues de ses clients, généalogistes amateurs. Mon expérience me fait dire que, pour le moment, ce sont plus les amateurs qui vont chercher de la méthodologie, de la formation ou les généalogistes professionnels en devenir. Les professionnels actuellement en poste ?
Un musicien ou un chanteur professionnel a suivi des années de conservatoire. Il suit des stages tout au long de sa carrière. L’amateur, qu’il soit chanteur ou musicien, prend des cours, mais pas toujours, peut participer à des choralies s’il a envie. Si j’en crois mon expérience. Mais s’il veut se professionnaliser, il doit suivre le même parcours que le professionnel.
Là j’ai l’impression de l’inverse parfois. Le professionnel a-t-il pris conscience de ses forces, de ses opportunités ? Je n’en suis pas sûr.