Patrice Cabanel a étudié l’histoire de la Révolution généalogique, datable au cours du second semestre de 1974. Concomitance de l’explosion généalogique avec engagement du pays dans la crise d’après les Trente Glorieuses. Tout cela est connu. Mais… Si le mouvement venait de plus loin ? Et si on s’intéressait à la généalogie par la lorgnette de l’économie de la connaissance ? Connaissance versus information L’information, c’est un ensemble de données, formatées, structurées, mais étant dans l’incapacité de donner par elles-mêmes la possibilité d’agir à celui qui les possède. La connaissance au contraire le permet. Celui qui la détient a une capacité d’action intellectuelle ou physique. Il peut modifier le monde ou produire de nouvelles informations ou connaissances. Pourquoi ? Parce que reproduire une information c’est relativement simple. On peut la dupliquer à l’infini par exemple par le biais d’une photocopieuse. Reproduire une connaissance, c’est devoir l’expliciter, l’enseigner. Cela passe par la relation instaurée entre le maître et l’élève. Ce n’est pas du tout le même coût. Les propriétés de la connaissance comme bien économique C’est un bien difficilement contrôlable et appropriable par l’entité qui le produit. La connaissance est un bien non rival dans son usage. Son usage ne la détruit pas et elle peut être utilisée un grand nombre de fois sans coût additionnel. C’est ce qu’on appelle un bien public pur. Elle n’est pas menacée d’épuisement par un usage excessif. Bien au contraire, elle s’enrichit et sa qualité augmente à chacun de ses usages. Mais elle est faiblement persistante : elle s’oublie, se déprécie, se perd. Sa version originelle est le plus souvent locale, tacite. Elle se transfère mal car elle est divisée et dispersée. Il faut alors la codifier pour mieux la mémoriser. Mais qui dit codification dit aussi généralisation. Une connaissance obsolète, car il y en a, est toujours peu ou prou stockée. Elle peut par contre être difficilement retrouvable et donc utilisable. Le prix de la connaissance Le vendeur, en la cédant, n’y renonce pas. Elle lui est définitivement acquise. L’acheteur ne la paie qu’une seule fois quel que soit le nombre de fois qu’il va l’utiliser. Il ne peut pas l’évaluer tant qu’il ne l’a pas définitivement acquise. D’où des variations de prix très importantes. Qui plus est, une part énorme de la connaissance ne fait l’objet d’aucune transaction marchande. Education et Apprentissage : le Grand Bond en Avant L’Homme des XIXe et XXe siècles sait lire. En cela, il se distingue fortement de ses ancêtres. Le XXe siècle a été le siècle du « grand apprentissage » : logique du développement des savoirs versus logique de l’accumulation matérielle. Autrement dit, est née une logique d’éducation intellectuelle. Le temps éducatif s’est étendu jusqu’à investir le temps libre (les « formations-loisirs », dont fait partie la généalogie). On observe la création d’une abondance potentielle d’informations. Internet a déterminé un changement radical dans les modes de recherche et d’acquisition de l’information et, au-delà de la connaissance. La contrainte de proximité entre maître et élève disparaît. Internet et les TIC deviennent un instrument facilitant le partage parmi un très grand nombre d’individus tout en étant des outils de production de savoir et en ouvrant de nouveaux traitements de bases de données. Et la généalogie dans tout cela ? Ces différents impacts ont particulièrement touchés les emplois dont l’objet principal du travail est l’information et le savoir. Le contenu a été bouleversé car s’intéressant tout à coup à un bien totalement digitalisable. Les TIC permettent alors un traitement automatique complet. Ce qui ne veut pas dire forcément qu’il l’est. Dans ces catégories d’emplois, nous trouvons ceux d’archivistes, de documentalistes, de bibliothécaires… Le généalogiste est en contact étroit avec chacun. D’où une obligation de devoir suivre leur mouvement et de s’adapter. On peut se rendre compte qu’au fur et à mesure que ces métiers se sont transformés, la généalogie a suivi. D’où la nécessité, pour pouvoir survivre, d’innover. Question de vie ou de mort. La généalogie en a été bouleversée, même si, en terme de marché, elle est encore imparfaite. Mais de moins en moins. Les généalogistes se forment et par là, le marché se déverrouille. Je crois que l’on peut observer ce qui se passe actuellement entre Genealogie.com, les archivistes, les généalogistes par ce biais-là. Comme une nouvelle innovation pour pouvoir survivre, sans doute maladroite dans la forme, où une partie du savoir est peut-être en train d’être transféré de ceux qui en avaient la garde depuis des siècles, voire depuis la nuit des temps, à un nouvelle forme de gardien. Avec tout ce que cela peut entraîner de résistances. Attention, je ne me place pas en terme de bien ou de mal. Simplement en terme économique. A voir.