J’avais rendez-vous avec un de mes clientes. J’étais en train de lui présenter mon rapport quand, pour une de ses ancêtres, elle s’est mise à me raconter une histoire. Bien évidemment, cette histoire était impossible à trouver dans mes recherches. Elle a accepté que je vous la raconte en modifiant les noms et les dates. René était un ancien militaire de carrière. Nous sommes vers le milieu du XIXe siècle. René était devenu militaire parce que son père avait été porté disparu lors d’une guerre. C’était une manière pour lui de renouer avec Père. René avait eu plusieurs garçons de son mariage. Il avait décidé que l’un d’eux serait militaire comme lui. Comme lui aussi, le fils qu’il avait choisi pour lui succéder dans l’armée serait envoyé dans les colonies. Ce garçon, ce fut son dernier-né : Victor. Victor n’était pas trop enthousiaste de devenir militaire. Mais il n’osait pas aller à l’encontre de la volonté paternelle. Il partit donc sept ans à Madagascar. Là, il rencontra une jeune et accorte indigène. Victor se mit en ménage avec elle et en eut une petite fille : Aimée. Au bout de ses sept années, Victor est rappelé en métropole, muté ailleurs. Il ne veut pas laisser à Madagascar sa compagne et sa fille. il écrit donc à son père pour lui demander l’autorisation de se marier et de rentrer avec elles en métropole. C’est mal connaître René qui lui répond très sèchement, d’une seule phrase : « Pas de nègres dans ma famille ! » On ne pouvait être plus clair. Victor repart donc seul. Revenu en métropole, pour les oublier, il fréquente un temps les filles de mauvaise vie. René l’apprend et se déplace pour remettre son fils dans le droit chemin manu militari. René ordonne aussi à Victor de se marier avec quelqu’une comme il faut. Victor continue d’obéir à son père. Il rencontre alors Appolonie, une jeune fille de 20 ans. Elle ne plaît pas trop à René mais, bon, il accepte que Victor l’épouse. Elle saura bien calmer son niais de fils. Ma cliente ne comprenait pas pourquoi René n’avait en fait jamais accepté Appolonie. Les naissances des enfants de Victor et d’Appolonie n’avaient rien changé. Il y avait incompatibilité d’humeur entre les deux. Tout en discutant, elle pointe du doigt Appolonie et Victor sur l’arbre généalogique déplié. Et là, j’arrête ma cliente. Je n’ai jamais vu un visage s’éclairer autant et aussi vite. Savez-vous quel était le nom de famille d’Appolonie ? … Nègre, bien sûr ! Un joli pied de nez du destin, non ?